Le mouvement coopératif est aujourd’hui en plein redéploiement. Il est même en voie de franchir une autre étape en ouvrant de nouveaux chantiers dans le développement économique et social d’un Québec des régions, chantiers innovateurs, très 21e siècle, et même très internationaux à certains égards : 1) celui de la crise énergétique et la question des énergies renouvelables ; 2) celui de la crise de la santé et des alternatives des communautés locales à cet égard ;3) celui des communautés en perte de vitesse et leur relance par développement coopératif de services de proximité (station d’essence, centre de jardinage, épicerie générale, quincaillerie…) ; 4) celui de la production agricole de proximité (produits du terroir, agriculture biologique…) ; 5) celui d’un commerce équitable de type coopératif à l’échelle internationale ; 6) celui d’une coopération internationale avec des communautés du Sud…Mais ce qu’on ignore ou oublie généralement, c’est qu’il a toujours fait ménage avec d‘autres mouvements sociaux dans la mise en œuvre des chantiers investis au cours de son histoire. Réouverture d’un dossier oublié, celui des coopératives dans leur liaison avec les mouvements sociaux. Ce sujet sera débattu à la Conférence internationale de Lévis le 22 septembre dans le cadre d’un des panels par Gérald Larose, de la Caisse d’économie solidaire, Claire Bolduc de Solidarité rurale, Jacques Beaudet de la CDÉC de Québec et moi-même . Voir sur le site de la conférence
1. Coopératives : une interaction constante avec d’autres mouvements tout au long de son histoire
Reconstituer l’histoire de nos sociétés en oubliant les mouvements sociaux n’a pas de sens. Ces derniers ont été déterminants dans le développement d’institutions permettant des avancées sociales, économiques et politiques. Pensons ici à l’interdiction du travail des enfants, à la réduction de la durée du temps travaillé, aux premières législations sociales, aux régimes publics de retraite, aux mutuelles qui ont contribué directement au développement de l’État social (en Europe surtout), aux communautés qui contrôlent leur avenir grâce au tissu économique collectif qu’elles se sont données…
Mais qu’entendons-nous par mouvement social? Le concept de mouvement social a généralement deux sens (Whitaker, 2003 : 39-42) : d’abord celui d’une action collective entreprise par des personnes engagées qui ont une cause spécifique à défendre et des objectifs concrets, limités dans le temps et l’espace, avec des stratégies, des règles de fonctionnement, des plans d’action et des structures appropriées. On parle alors de «mouvements» qui sont pluriels dans leur composition sociale, leurs orientations, leurs règles, leurs manières de faire. Il suffit de penser au mouvement syndical, au mouvement des femmes et au mouvement écologique pour voir se dessiner les contributions particulières des uns et des autres. Dans un cas comme dans l’autre, il y a deux dimensions : socio-politique (la sphère de la revendication) et socio-économique (la sphère de l’action économique) et dans les deux cas, la perspective de redéfinir les champs investis en concordance avec des valeurs, une éthique et des objectifs partiels et/ou globaux de transformation sociale [1]. Ensuite, un deuxième sens est celui d’une action collective fédérative de plusieurs types d’organisation de provenance diverse où se dessinent peu à peu des convergences. Il s’agit alors d’un processus de longue durée qui peut grandir au fil des ans. C’est le cas du FSM. On parle alors du «mouvement» parce qu’il y a différentes causes et courants en interaction dans la durée.
Ce qu’on oublie souvent dans la littérature scientifique et sociale sur les entreprises collectives, le souci économique prévalant, c’est que les coopératives et les mutuelles ont constamment été et sont liées au mouvement social général et à d’autres mouvements ayant épousé des causes proches de la leur : dans l’assurance avec le mouvement ouvrier naissant (sociétés d’entraide devenues des mutuelles) (Petitclerc, 2007); dans l’agriculture avec les organisations syndicales de producteurs agricoles ; dans les institutions scolaires avec le mouvement étudiant ; dans le monde du travail, avec le mouvement syndical ; dans l’habitat avec le mouvement communautaire ; dans les nouveaux créneaux du type «commerce équitable» avec le mouvement de la consommation responsable ; dans la coopération Nord-Sud avec les organisations de coopération internationale (OCI) et aujourd’hui avec le mouvement citoyen international émergent…(Forums sociaux, réseaux de promotion d’une économie solidaire…). Sans compter la participation des coopératives et des mutuelles au mouvement d’affirmation des territoires ou des communautés contre la dépossession du contrôle de leur développement. Autrement dit, dans une société démocratique comme la nôtre, au fil des décennies, les rapports du mouvement coopératif ne se sont pas tissés uniquement avec des partenaires institutionnels (gouvernements locaux, dispositifs publics de développement local et régional, ministères à Québec…) mais aussi avec d’autres mouvements.
En fait nombre d’initiatives économiques naissent au sein de mouvements sociaux et s’inscrivent dans une trajectoire d’action collective combinant la revendication (résistance à l’exploitation) et la construction d’alternatives concrètes pour leurs membres. Certaines de ces initiatives ont échoué et d’autres fort bien réussies. Certaines ont fini par échapper au contrôle de leurs promoteurs initiaux ou à s’en détacher tandis que d’autres sont demeurées fortement liées à ces derniers. Dans tous les cas, deux conditions internes à ces initiatives ont particulièrement favorisé leur réussite : 1) le militantisme au sein de ces mouvements et le déplacement d’une partie de leurs effectifs vers le développement de ses initiatives économiques ; 2) le professionnalisme du système de gestion des entreprises collectives mises sur pied. D’où l’importance de bien voir quelle est l’histoire des rapports construits au fil du temps entre coopératives et mouvements sociaux et la force que ces rapports procurent aux uns comme aux autres lorsque cela se produit. En voici quelques exemples puisés dans l’histoire ou l’actualité.
Les sociétés de secours mutuels ont représenté une forme originale de résistance populaire dans le contexte de la transition à une société de marché. Peticlerc (2007 : 119-136) nous parle d’une mutualité ouvrière encouragée par une législation favorable aux mouvements associatifs à partir des années 1850. Dans un premier temps, la mutualité ouvrière s’organise sur une base associative et forge une action collective de la classe ouvrière dans un contexte de syndicalisme très précaire. De ce fait dans un deuxième temps (1880 et décennies suivantes), elle fournira au syndicalisme naissant un certain nombre de dirigeants qui, mettront de l’avant des valeurs collectives nécessaires aux associations ouvrières en même temps que des ressources à la disposition de ce dernier (lieux de rassemblement, financement d’activités). Puis, la mutualité, devenant elle même de moins en moins strictement ouvrière, et de plus en plus strictement une institution d’assurance pour tous, les syndicats, devenus plus solides, notamment les Chevaliers du travail (1880-1890), créeront alors leurs propres mutuelles. Perspective commune cependant dans les deux cas : développer des protections sociales qui libèrent les populations de la charité privée ou publique.
Les relations entre le syndicalisme et les coopératives sont un impensé politique de la recherche en sciences sociales. En effet, partout dans le monde, Québec compris, les initiatives économiques des syndicats, dans le champ des entreprises collectives, sont nombreuses et mal connues. Il suffit de penser par exemple aux relations entre certaines mutuelles comme la SSQ et le monde syndical ou au développement des caisses d’économie dans le secteur de l’épargne et du crédit ou des associations coopératives d’économie familiale (ACEF). Puis il y a le développement de fonds de travailleurs, le Fonds de solidarité (FTQ, 1983) et Fondaction (CSN, 1996) dont une partie des investissements sont dirigés vers le développement coopératif, ce qui est particulièrement explicite dan le cas de Fondaction (CSN). On peut également penser à la reprise d’entreprises dans un certain nombre de cas.
C’est en 1996 que les propriétaires de la station de radio CHEF décident de baisser pavillon. Branle-bas de combat dans la salle des nouvelles. Six vétérans du poste de radio décident de racheter la station, aidés en cela par MCE Conseils, le service de la CSN en la matière. Chaque membre du groupe investira 6,000$. Des organismes du milieu et la population de la région se mettent de la partie et soutiennent le projet. Quelques mois après la réouverture, chance dans la malchance : la crise du verglas. M105 devient la station de radio préférée de la région en se centrant sur la nouvelle locale et régionale. La station devient le lieu de convergence de la population et des autorités locales pour faire face à la crise du verglas. Aujourd’hui M105, radio de Granby, engage 20 personnes. Ils étaient 12 employés syndiqués avant l’annonce de la fermeture en 1996 (source : perspectives CSN, mars 2010, p.15) |
Depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, le mouvement communautaire est inscrit dans la revitalisation de quartiers aux prises avec la crise urbaine. Ce qui a donné un second souffle aux coopératives d’habitation là où les mouvements d’action catholique des années 40-50 l’avaient laissé. Que ce soit à Montréal, à Québec, à Gatineau, à Trois-Rivières, les années 70 et 80 ont été génératrices de nouvelles coopératives d’habitation. On connaît le mouvement communautaire pour avoir développé différentes stratégies de lutte contre la pauvreté : défense et promotion de droits sociaux d’une part (logement, défense des consommateurs, défense des personnes sur le bien-être social..) et, d’autre part, développement social local de type communautaire, des services de proximité dans le secteur de la santé et des services sociaux notamment (Jetté, 2008 ; Bourque et alii, 2007). La coopérative d’habitation L’Escalier à Québec en est un bel exemple.
La Coopérative d’habitation L’Escalier est un bel exemple de mixité urbaine dans l’un des quartiers les plus convoités de Québec, celui de la Colline parlementaire. Des militantes et des militants du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste ont livré pendant plus de deux ans une bataille pour construire deux édifices en plein cœur de la Haute-Ville afin d’y aménager 81 logements sociaux. Leur ténacité a une raison de leurs opposants. |
Dans la même veine, on a vu des coopératives scolaires, spécialisées dans la vente de livres, la papeterie et l’informatique, se développer dans près de 90 établissements (CEGEP et universités) grâce à leur lien étroit avec des associations étudiantes. Puis, ces dernières ont voulu occuper d’autres terrains : services alimentaires (cafés étudiants, cafétérias), gestion des résidences étudiantes, et même dans certains cas développement de coopératives de santé (Université de Sherbrooke). Récemment, on a même été plus loin en achetant la maison d’édition Albert Saint-Martin, éditeur le plus important dans le secteur des ouvrages en sciences humaines destinés aux collèges. Aujourd’hui, Les Éditions Saint-Martin et Décarie éditeur sont des filiales de COOPSCO.
Depuis plus d’une dizaine d’années, les coopératives liées au mouvement de la consommation responsable sont en plein développement comme l’illustrent fort bien l’expérience du commerce équitable avec des coopératives du Sud, celle d’une économie verte dans le secteur québécois de l’habitation ou celle d’une épicerie de quartier qui vend des produits locaux, biologiques et équitables
Le commerce équitable est en pleine expansion, grâce à des bâtisseurs comme Equita, filiale d’Oxfam-Québec, et de la Centrale des syndicats du Québec. En plus des produits équitables les mieux connus – café, thé, chocolat et sucre –, Equita fait entrer chez nous de nouveaux produits, dont des épices certifiées, équitables et biologiques parmi lesquelles figure le poivre noir en grain. Ces épices de qualité permettent à des producteurs de thé de la coopérative SOFA du Sri Lanka de ne plus dépendre d’une seule culture pour se tirer d’affaires. Par le commerce équitable, 5 millions de producteurs et leurs familles adoptent de bonnes pratiques sociales et environnementales plutôt que de renforcer l’exploitation des ressources et des travailleurs. |
La Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FECHIMM) a pris l’initiative de mettre en place le programme d’efficacité énergétique Coops Efficaces. Le projet s’adresse à toutes les coopératives d’habitation du Québec afin de réduire les coûts d’énergie et, ce faisant, l’émission de gaz à effet de serre. Les coopératives dont les travaux sont prévus ont accès à une subvention qui couvrira la différence de coût entre les matériaux standards et les matériaux plus performants sur le plan énergétique. Coops Efficaces est aussi un programme de sensibilisation qui, entre autres choses, offre gratuitement des thermostats électroniques. |
La coopérative Tendre Vert est une boutique-café coopérative qui s’est donné la mission de promouvoir la responsabilité sociale et environnementale auprès des consommateurs et des entreprises. Organisés autour des valeurs de démocratie, de gestion autonome, d’équité et de liberté, ses 630 membres font revivre les locaux d’une épicerie du début du XXe siècle dans le Vieux-Lévis. Ils proposent des produits qui protègent l’environnement et la communauté : des produits locaux, biologiques, écologiques et équitables. Ils font un effort pour réduire le transport et l’emballage et préfèrent acheter directement des producteurs. Source Caisse d’économie solidaire Desjardins, 2007 |
Le commerce équitable a des affinités naturelles avec le mouvement coopératif (duquel il émerge en bonne partie d’ailleurs). Le premier élément de convergence est leur présence dans le secteur agricole. Par exemple, au Québec, les problèmes d’accès à la machinerie, de commercialisation, de distribution et de consommation ont été en bonne partie résolus par la création de coopératives de producteurs et de consommateurs du début du 20e siècle à aujourd’hui. Dans les pays du Sud, les coopératives agricoles sont devenues un acteur central à partir des années 1980-1990 en partie grâce aux organisations du commerce équitable et simultanément à l’apparition de la filière alimentaire certifiée (Lemay et alii, 2010). Plus concrètement, la solidarité qui est centrale au mouvement du commerce équitable a été énoncé comme principe depuis les débuts du mouvement coopératif : l’intercoopération. Les partenariats des réseaux de commerce équitable avec le mouvement coopératif peuvent servir de dispositifs de coordination en faveur d’un plaidoyer commun, entre autres afin de développer de nouvelles coopératives au Nord comme au Sud. Le passage d’une collaboration épisodique à une concertation plus importante de ces deux acteurs peut, d’une part, donner un second souffle au commerce équitable et, d’autre part, le consolider afin de lui permettre de résister à la récupération par les firmes privées. L’inverse est aussi vrai : il peut permettre aux grandes coopératives agricoles de renouer avec leurs territoires d’appartenance.
Une longue tradition de solidarité internationale avec le Sud traverse le Québec des régions (Favreau et alii 2008). Ces initiatives sont fédérées à l’intérieur d’une Association québécoise d’organisations de coopération internationale (AQOCI). Dans plusieurs régions du Québec, des comités de solidarité internationale se sont constitués notamment en Estrie, en Mauricie et au Saguenay. L’interaction avec le mouvement coopératif et mutualiste est parfois très avancé comme l’illustre l’expérience de Promutuel au Saguenay.
Le tour du Lac Promutuel est l’une des plus vieilles randonnées cyclo-touristiques du Québec. Pendant trois jours, les cyclistes parcourent un trajet de 256 km autour du lac Saint-Jean. Depuis 24 ans, près de 6 000 cyclistes ont pédalé pour le Burkina Faso. En 2005, le groupe Promutuel Lac au Fjord s’est associé au Centre de solidarité internationale du Saguenay-Lac-Saint-Jean. En moyenne, 295 cyclistes participent annuellement au tour et depuis 1996, la moyenne annuelle des dons recueillis par les cyclistes est de l’ordre de 27 000 $. Des exemples de projets réalisés au Sud avec la collecte de fonds de l’édition 2010 : en Équateur, un appui à 800 femmes pour la commercialisation de produits maraîchers de même que la formation en gestion de micro-entreprises de 40 personnes pour le fonctionnement de leur entreprise de coupe, de conservation et d’emballage de viande ; au Burkina Faso, des activités d’alphabétisation pour 250 femmes et 190 hommes, la distribution de 500 foyers améliorés et des activités de sensibilisation pour diminuer l’utilisation du bois de chauffe (facteur important de désertification) de même que l’appui à trois groupements de femmes dans la production, la transformation et la commercialisation de produits forestiers non ligneux (le soumbala, épice fabriquée avec les graines de l’arbre néré). Source : site du Comité de solidarité internationale du Saguenay-Lac-Saint-Jean |
2. Le mouvement coopératif et le CQCM : ses passerelles avec d’autres mouvements
Avec ses pratiques d’intercoopération, avec sa culture d’indépendance économique, avec sa culture démocratique de membres sociétaires, avec la mixité des groupes sociaux qu’il peut réunir, avec aussi ses nouveaux chantiers, le mouvement coopératif gagne à expliciter la dynamique inter-mouvements qui est la sienne. Et son interaction avec d’autres mouvements n’est pas en sens unique, loin de là. On ne le dira jamais assez, les coopératives sont souvent le prolongement de luttes sociales qui débouchent sur des activités économiques, ces mouvements fournissant alors le sel de la terre, c’est-à-dire des militants pour démarrer les choses. Et en sens inverse des coopératives peuvent aider des mouvements à canaliser une partie de leur action collective dans une stratégie qui ne soit pas uniquement de résistance mais de construction d’alternatives comme le mouvement syndical l’a fait en se donnant des outils économiques comme les caisses d’économie et des fonds de développement. Mais s’il y a des collaborations assez souvent, elles sont à géométrie variable, et certainement pas, exemptes de zones de tension à certaines périodes. Ceci dit, les sorties de crise (écologique, sociale et économique) de la période actuelle et à l’échelle internationale nous forcent plus que jamais à consolider et à élargir cette solidarité entre mouvements.
Le renouveau passe par l’innovation. Où est-elle aujourd’hui? Elle est notamment dans les coopératives d’énergies renouvelables, dans le secteur de la santé, dans les services de proximité multi-activités, dans les nouvelles coopératives agricoles, dans des projets de commerce équitable Nord-Nord et Nord-Sud, etc. Mais elles sont fragiles (dans leur capitalisation, dans leur lien avec l’ensemble des réseaux de coopératives déjà constituées, dans leur lien avec les autres forces vives des communautés qui bougent…). Dans cette perspective, le mouvement coopératif est engagé dans des batailles économiques et sociales sur des enjeux qui sont de longue durée mais il ne peut le faire seul. Aujourd’hui plus qu’hier, il doit miser sur les forces vives des communautés locales et sur les mouvements qui les animent. À cet égard, la perspective qui se dessine au sein du mouvement coopératif par les temps qui courent est la suivante :
- Renforcer ses liens avec d’autres mouvements sociaux ou des initiatives de ceux-ci: le mouvement de la consommation responsable (Équiterre, Amis de la terre…), le mouvement de la solidarité internationale (GESQ, FSQ,…), le mouvement syndical (fonds de travailleurs) et l’initiative des Rencontres du Mont-Blanc…
- Ouvrir progressivement le mouvement à des membres provenant d’associations comme est en train de le faire la Fédération des coopératives de services à domicile et de santé.
- Développer de nouvelles formes de présence politique : par exemple, des rencontres régulières avec les députés, avec les partis politiques; des tables de concertation établies durablement avec d’autres mouvements sur des enjeux communs; de nouveaux dispositifs d’information (pas seulement des relations publiques) du mouvement sur ses priorités et ses actions…
- Se doter de moyens à la mesure de ses ambitions et de la nouvelle situation dans lequel il se trouve c’est-à-dire une offre de services plus complète aux membres : a) un service de recherche consolidé; b) un service de développement international; c) un service de formation; d) un dispositif de capitalisation fiduciaire unifié et généraliste (avec Capital coopératif et régional, les fonds de travailleurs, des fonds publics,…).
3. Québec 2010 : la collaboration entre les différentes familles de l’économie sociale
Rétrospectivement, l’expérience québécoise des 15 dernières années, si on situe la comparaison au plan international, est pertinente sur deux points :
- Des passerelles existent entre les différentes parties constituantes de l’économie sociale, entre l’«économie sociale coopérative», l’«économie sociale associative» et les fonds de travailleurs;
- Une cohabitation active des différents réseaux avec les pouvoirs publics (d’un gouvernement nationaliste surtout) a réussi sur quelques enjeux de la décennie 90 dans la foulée du Sommet québécois sur l’économie et l’emploi (la petite enfance, l’insertion socio-professionnelle, l’aide à domicile,…). D’où la proposition de notre livre (Comeau et al., 2001) sur cette cohabitation constituée de filières avec les pouvoirs publics.
Mais, surtout depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux à Québec, il faut revisiter en quelque sorte cette avancée sociale car il y a un certain retour à la case départ en termes de perspectives. Où en sommes-nous rendus après 15 ans de travail autour du concept d’économie sociale? Le bilan doit d’abord se faire autour de ses différentes familles qui appuient ou regroupent des entreprises collectives. La notion d’économie sociale s’est voulue un concept fédérateur mais la thèse du Chantier «réseau des réseaux» qui va avec le «compromis fondateur» de 1996 est aujourd’hui jugé très contestable et peu représentative de la réalité. Après une décennie de tentative pour rassembler tout ce qui est «potentiellement» dans l’économie sociale (en vertu de la conception inclusive, large… issue du compromis de 1996), le rêve s’est estompé : la très grande majorité des coopératives (matures et nouvelles) et des mutuelles de même que leur regroupement, le CQCM, continuent d’évoluer fondamentalement sur leurs propres bases; la très grande majorité des organisations du mouvement communautaire autonome aussi; la majorité des réseaux de groupes de femmes également; puis le réseau québécois des SADC, la très grande majorité des organisations de coopération internationale (AQOCI), le Regroupement des organisateurs communautaires en CLSC (RQIIAC)…. Aucun de ses réseaux ne se reconnaît dans le «mouvement» dit de l’économie sociale porté par le Chantier et ne sont pas ou n’en sont plus parties prenantes [2]. Cependant chaque famille de ce «tiers secteur d’économie sociale et solidaire» (Lipietz, 2001) a ses avancées.
Avec la fin des années 80, le mouvement coopératif s’est refait une cohésion en posant les dernières pierres d’un regroupement de l’ensemble des coopératives qui aura intégré les nouvelles générations d’entreprises coopératives. C’est ce qui constitue aujourd’hui le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM). Dans la dernière décennie, la croissance des coopératives est avérée (Brassard et Rompré, 2006). Le mouvement coopératif franchit même une autre étape en ouvrant de nouveaux chantiers dans le développement des régions : 1) celui de l’accès des communautés aux énergies renouvelables; 2) celui de l’accès à des services de santé de proximité; 3) celui du développement de services multi-activités dans les collectivités en déclin; 4) celui de la production agricole à circuits courts (produits du terroir, agriculture biologique…). Par ailleurs les rapports de collaboration du CQCM avec les pouvoirs publics ont permis d’établir des ententes durables pour le développement coopératif dans les régions (le financement des CDR).
Au fil des années 80-90, le mouvement syndical aura confirmé et consolidé son engagement sur le terrain économique dans la création d’emplois et le développement des régions en étant soutenu par les gouvernements dans leurs projets de fonds de travailleurs : le Carrefour de la solidarité qui regroupe les différentes initiatives de la mouvance CSN et la stratégie du Fonds de solidarité de la FTQ misant sur le développement de PME en région sont sans contredit des avancées de premier ordre. Contribution majeure : la capitalisation des entreprises québécoises par des fonds de travailleurs qui ont l’aval fiscal de l’État québécois et sur laquelle de nombreuses initiatives socio-économiques de ce tiers secteur peuvent s’appuyer.
L’entrepreneuriat social a pris racine au sein du mouvement associatif avec l’arrivée du Chantier d’économie sociale. Des financements sous gestion collective sont apparus: le RISQ (initiative partenariale issue du Sommet de 1996) et un fonds de capital patient (en 2005) ont pris place à côté des initiatives des autres organisations. Un nouveau regroupement soutenu du moins à sa fondation par les autres familles (coopérative et syndicale) a émergé, le Chantier de l’économie sociale. Simultanément, les objectifs de création d’emplois dans les secteurs sociaux identifiés par le Sommet (petite enfance, ressourceries, insertion…) ont été atteint. Les réussites de ce type d’initiatives ont particulièrement été mises en relief par les travaux préparatoires du Sommet de l’économie sociale (Sommet de l’économie sociale, 2006).
À côté de la coopération et de l’économie sociale, il y a aussi ce qui a poussé en se distinguant sans concurrence mais en se situant près de cette mouvance, avec ses stratégies propres, ses filières auprès des pouvoirs publics, ses financements et même ses réseaux internationaux… : c’est le cas du mouvement pour la consommation responsable (agriculture de proximité, commerce équitable Nord-Sud, finance éthique, souveraineté alimentaire…). Équiterre est un bon exemple de ce processus (Nez, 2006). C’est la préoccupation écologique qui explique ce développement : elle est très mobilisatrice et en train de construire un engagement citoyen notamment des Québécois de moins de 30 ans. Ce mouvement a pris beaucoup de force depuis le début des années 2000 et est en train d’atteindre un niveau d’influence très significatif qui traverse les préoccupations de bon nombre d’institutions (Lemay et alii, 2010).
Références bibliographiques
Favreau, L. (2010), Mouvement coopératif, une mise en perspective. Collection Initiatives, PUQ, Sainte-Foy.
Favreau, L. (2010), Pistes de sortie du capitalisme : le mouvement coopératif est-il de la partie ? Cahier de la CRDC et de l’ARUC-ISDC, UQO, Gatineau, 24 pages.
Favreau, L., L. Fréchette et R.Lachapelle (2010), Mouvements sociaux, démocratie et développement : les défis d’une mondialisation solidaire, Presses de l’Université du Québec, Québec.
Favreau, L. (2008), Entreprises collectives, les enjeux sociopolitiques et territoriaux de la coopération et de l’économie sociale, PUQ, Sainte-Foy.
Jeantet, T. (2008), L’économie sociale, une alternative au capitalisme, Économica, Paris.
Kempf, H. (2009), Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Seuil, Paris
Lemay, J-F., L.Favreau et C.Maldidier (2010), Commerce équitable, les défis de la solidarité dans les échanges internationaux, PUQ, Sainte-Foy.
[1] À ce propos, lire la conclusion de mon livre sur le mouvement coopératif (2010) ou une version plus approfondie parue en cahier de recherche de l’ARUC-ISDC, UQO, Gatineau : Pistes de sortie du capitalisme : le mouvement coopératif est-il de la partie ? (disponible sur le site de la conférence). Voir aussi Kempf (2009) et Jeantet (2008).
[2] Je me suis suffisamment expliqué à ce sujet pour ne pas avoir à y revenir (Favreau, 2008 : 157-188)
Louis Favreau
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