Les coopératives et l’ensemble des entreprises collectives ne sont pas seulement des entreprises différentes. En raison de leur finalité sociale et de leur lucrativité limitée, elles se veulent également portées, comme tous les mouvements sociaux, par des préoccupations d’intérêt général. Leur fonction économique de production de biens et services est ainsi adossée à une fonction politique de révélateur de nouveaux besoins sociaux et de bougie d’allumage sur des questions de société pour influencer les politiques publiques. Dans un livre à paraître début septembre Économie et société. Pistes de sortie de crise (Presses de l’Université du Québec, cosigné par Louis Favreau et Ernesto Molina), nous posons la question de l’action politique. Extraits d’un chapitre à l’intérieur duquel nous avons interviewé la directrice du Service de recherche du CQCM, Marie-Joëlle Brassard.
Le débat sur l’action politique du mouvement coopératif est un débat de tous les mouvements. Il doit se poursuivre. Il y a dans l’histoire de ces mouvements au Québec comme au Canada différents types d’expérience au plan des formes prises par l’action politique non-partisane et des formes diverses de réflexion sur des questions de société qui débordent le lobbying et les partenariats inscrits dans les dispositifs politico-administratifs de l’État. Le lobbying est cependant une première forme d’action politique qu’il ne faut pas sous-estimer. Le mouvement coopératif en fait au même titre que les Chambres de commerce, le Conseil du patronat, les Centrales syndicales ou d’autres groupes d’intérêt. Ces organisations, en tant que groupes d’intérêt, font de la représentation auprès de différentes instances publiques (municipales, régionales et nationales), se prononcent sur des questions de société par l’intermédiaire de mémoires lors de commissions parlementaires (en santé, en agriculture, en droit associatif…). Bref, toutes les associations font du lobbying au Québec comme un peu partout dans nos démocraties (Grossman et Saurugger, 2006). C’est un type de pratique politique courante qu’illustre bien la contribution qui suit sur l’action politique du CQCM des 5-6 dernières années. L’entrevue a porté sur cinq dossiers chauds : l’agriculture, la santé, les économies locales, les énergies renouvelables et le droit associatif.
Entretien avec Marie-Joëlle Brassard
L’agriculture
L’agriculture québécoise est en pleine transformation. Le mouvement coopératif est très engagé dans ce secteur depuis des décennies. Cependant depuis 20 ans, vos plus récentes recherches au CQCM signalent que les grandes coopératives agricoles ont affaibli le lien avec leurs membres, les agriculteurs. Ce serait, à vos dires, un problème structurel lié aux législations en cours. À l’occasion de la Commission sur l’agriculture en 2007, la Commission Pronovost, vous avez logé des demandes de modification. Où le dossier est-il rendu? Une autre question : le CQCM est sensible à l’autre agriculture, une agriculture émergente, de niche, plus locale et plus biologique. Comment êtes-vous engagés sur cette question?
Les enjeux liés à l’agriculture se jouent à trois échelles de territoires. La première est locale et réside dans le renouvellement de l’engagement des membres à leur coopérative. La deuxième est mondiale, là où se fait sentir durement la crise alimentaire. Entre les deux, évidemment, le palier fédéral canadien est un intervenant de première ligne auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) alors que le gouvernement du Québec influence par ses législations, notamment pour la gestion de l’offre. La position du Conseil à la Commission Pronovost décrit les effets pernicieux de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, laquelle établit les règles permettant d’organiser la production et la mise en marché agricole. L’objectif visant à assurer des revenus décents aux producteurs agricoles ne fait pas problème. Cependant depuis 1990, avec cette loi, chaque coopérative doit s’adresser à un syndicat agricole plutôt qu’à ses membres pour s’approvisionner. Le syndicat agricole est alors devenu un intermédiaire faisant ainsi perdre le lien d’usage membres-coopérative. À partir de là, le seul lien entre le membre et sa coopérative devient la ristourne, soit le lien d’affaires. Pour résoudre l’impasse, le Conseil recommandait, dans son mémoire, la réhabilitation du lien d’usage du producteur agricole à sa coopérative en proposant au gouvernement d’autoriser la création de Filières de solidarité coopérative qui, en plus d’assurer une production 100% COOP, permettrait à la coopérative de s’approvisionner auprès de ses membres à la hauteur de ses besoins, notamment pour la transformation. Perspective : préserver la solidarité entre les membres et l’ouvrir à de nouveaux membres sur la base d’une production accrue.
Quant à l’international, l’enjeu se présente autrement. Les 100 coopératives agricoles rassemblées au sein de la Coop fédérée ont dû revoir tout leur fonctionnement dans le cadre des nouvelles contraintes liées aux marchés mondiaux. Alors que pour les grandes entreprises privées, les capitaux sont mobiles, pour la coopérative, l’ancrage local et la participation des membres aux décisions est cruciale. On parle ici des deux tiers des producteurs agricoles concernés par ces décisions. Pour diminuer les coûts de production et abaisser le coût des services offerts aux membres, la Coop fédérée initiait le projet Chrysalide en 2008, une révision intégrée de ses structures permettant de renforcer sa capacité à mobiliser ses membres dans la prise de décision. La Coop fédérée a aussi demandé au gouvernement fédéral de retirer la question agricole des règles du jeu de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’alimentation ne peut être laissée au marché. Il faut donc créer des alliances avec d’autres organisations dans le monde entier et adopter des positions communes afin d’assurer une régulation internationale des prix qui soit équitable pour tous.
La santé
Le Québec des communautés locales est aujourd’hui coincé entre deux feux : d’un côté, un secteur public qui occupe le plus gros de l’espace mais avec des déficits majeurs d’accessibilité en matière de services de proximité, davantage depuis la fusion des CLSC avec les grands établissements (hôpitaux, centres d’accueil…); de l’autre le risque d’une marchandisation de services à partir d’un modèle privé de type grande surface avec intégration de plusieurs créneaux : supermarché, grande pharmacie, clinique de santé… et ce suite au déclin des cliniques sous gérance privée de médecins. Quel est l’état des lieux?
Levons tout de suite l’ambigüité, souvent entretenue, de la privatisation de la santé par les coopératives. Les coopératives de santé sont des infrastructures d’accueil, un acteur collectif, pour assurer la proximité du service et son maintien dans la communauté. L’accessibilité du service de santé, pour sa part, est inscrite dans la loi fédérale et dépend de la disponibilité des médecins, ce sur quoi une communauté n’a pas de contrôle. Un autre préjugé tenace est la croyance qu’elles sont localisées dans les régions et les villages éloignés. Une étude détaillée a révélé qu’elles se situent là où le taux de médecins par 1000 habitants est le plus bas, donc là ou la pénurie se fait sentir plus durement (Brassard et alii, 2009). Elles sont dans les municipalités péri-urbaines. Par leur seule présence, ces coopératives changent la répartition des effectifs médicaux dans les territoires. Elles entrent alors en opposition avec le contrôle du gouvernement habitué de « placer » les services de santé en fonction d’une rationalité différente. Le gouvernement n’est pas sourd aux signaux des communautés. Il est plutôt en déphasage parce que les logiques diffèrent. D’un côté, le gouvernement tentait, à partir de 2004, une régionalisation de la gestion de certains services de santé, après l’adoption de la Loi 25 de 2003, qui consacra l’approche populationnelle. Avec celle-ci, l’échelle territoriale planifiée réfère désormais à un découpage en 95 centres de services sociaux et de santé. En même temps, la restructuration prévoyait la mise en place de Groupes de médecine familiale (GMF) répartis entre ces 95 territoires, permettant une contribution financière additionnelle. Ainsi, les GMF visent une organisation du travail « en équipe » pour optimiser les ressources professionnelles, principalement entre infirmières et médecins. La mise en place de tels GMF suppose la fixation d’un nombre minimal de ressources professionnelles, ce qui est plutôt difficile pour les coopératives de santé qui ont un nombre restreint de médecins. De plus, dans le cas des coopératives, la logique première est celle de la mobilisation citoyenne avec comme point d’appui le milieu de vie. Pour les communautés qui se mobilisent, le service de santé réfère alors à un projet d’avenir. Un service de santé représente ainsi, dans un ensemble coopératif plus large, l’assurance de pouvoir attirer les jeunes, de garder les personnes âgées dans leur milieu, de maintenir une école ouverte, d’avoir suffisamment de citoyens pour créer une vie dynamique. De même, l’État, par son bras régional, vise à offrir une desserte de services uniquement centrée sur le secteur de la santé, alors que les coopératives de santé ont plutôt tendance à se déployer dans un éventail plus large de services, notamment en matière de prévention. Réunies au sein de la Fédération des coopératives de services à domicile et de santé depuis 2009, elles font face aujourd’hui à plusieurs défis. En 2006, le Conseil déposait un mémoire à la commission parlementaire des Affaires sociales et recommandait, entre autres, que le gouvernement transmette des signaux clairs aux instances publiques de santé pour favoriser un arrimage entre CSSS et coopératives de santé, notamment: a) soutenir leur mise en place par des mesures fiscales locales; b) permettre aux municipalités de jouer un rôle actif en s’inspirant de l’exemple français des Sociétés coopératives à intérêts collectifs (SCIC). Dans le même ordre d’idées, l’Italie qui a créée en 1993 une loi à cet effet va encore plus loin. La municipalité et la coopérative y développent des partenariats non seulement en matière de santé mais dans des secteurs à caractère social (insertion sociale et socio-professionnelle, etc.).
Les économies locales en déclin
On sait que de nombreuses communautés sont à risque parce que leur économie locale est flouée ou sur le point de l’être : l’épicerie générale ferme, la station d’essence aussi, la quincaillerie locale a peine à survivre, etc. Vous avez ouvert des discussions avec les pouvoirs publics locaux sur cet enjeu? Comment se présentent les choses en 2011 à ce sujet?
Sur cette question des coopératives de services de proximité, deux mémoires furent adressés au gouvernement en 2007 et 2008. De plus, en 2009, le Conseil interpellait le ministère concerné (le MAMROT) et l’invitait à créer une table de concertation ayant le mandat d’arrimer politiques et programmes publics avec les initiatives coopératives dans la réponse à la vitalisation des petites communautés, initiatives par ailleurs liées à plusieurs secteurs du mouvement coopératif. Complication supplémentaire : le Plan d’action gouvernemental pour l’entrepreneuriat collectif lancé en 2008 laissait peu d’espace aux coopératives et aux mutuelles (l’économie sociale relève du MAMROT alors que les coopératives relèvent du MDEIE). Cette séparation des familles de l’économie sociale entre deux ministères rend difficile les arrimages entre les coopératives et le MAMROT. Le Conseil n’a pas attendu pour s’engager dans le dossier : un travail de concertation a été réalisé, en présence du MAMROT, du MDEIE, des CDR, le tout coordonné par le Conseil sur une année pour assurer un arrimage. Une des recommandations: qu’une municipalité puisse être membre d’une coopérative (sans droit de vote). Mais, apparemment, la loi sur les compétences municipales ne le permet pas. Du côté gouvernemental, l’interprétation légale proposée veut qu’il y ait étanchéité entre le privé et le public, la coopérative étant une entreprise, ce qui est vrai. En fait, généralement, il s’agit de situations liées au dernier service de proximité (dépanneur, restaurant, poste d’essence, etc). Le Conseil a obtenu l’accord des deux unions municipales à cet égard et l’une d’elles, la FQM, interprète autrement la loi sur les compétences municipales, affirmant que c’est possible. Pour sa part, le Conseil recommandait de mettre en place des mesures fiscales en soutien au dernier service de proximité, soit en proportion de l’usage fait du dit service, soit sur la base de l’achat de parts privilégiées traduites en parts de proximité offertes aux citoyens. Cette dernière mesure fiscale faciliterait du coup la création d’un fonds de capitalisation pour le démarrage de ce type de coopérative. Où en est-on? Une politique cadre sur la vitalisation des communautés est annoncée par le ministre qui affirme qu’il s’agit là d’une priorité. À suivre… Mentionnons également d’autres réponses coopératives depuis quelques années : les Maisons familiales rurales, les coopératives d’habitation d’aînés soutenues par la communauté, les fiducies foncières coopératives pour des terres à valoriser…
Les énergies renouvelables
La question énergétique en contexte de réchauffement climatique est devenue de plus en plus centrale. Le Conseil a été très innovateur en plongeant au cœur de cet enjeu, par suite d’initiatives de communautés et de régions qui ont démarré des projets de coopératives d’énergies renouvelables dont l’éolien est la face la plus visible. Quelle est la position du Conseil et les gestes qu’il a posés dans ce dossier écologique?
Une réflexion s’est amorcée en 2005 entre représentants de divers secteurs du mouvement coopératif, notamment la Coop Fédérée, le mouvement Desjardins et la Fédération des Coopératives de développement régional. Le lancement imminent d’un second appel d’offres de 2000MW d’énergie éolienne, s’ajoutant au premier 2000 MW, motivait les partenaires coopératifs. La Coop fédérée avait alors produit un mémoire sur le sujet. Un regroupement des forces coopératives était donc à l’ordre du jour. Le Conseil fut mandaté pour mettre en place les conditions favorisant le développement coopératif dans le secteur de l’éolien et des énergies renouvelables. Une expertise sur un modèle de financement pour soutenir leur démarrage et leur développement fut développée après deux années de recherche.
La stratégie énergétique du gouvernement pour 2006-2015, en plus de proposer 4 000 MW d’énergie éolienne branchée sur le réseau hydro-électrique, réservait 500 MW en énergie dite « communautaire », répartie entre les autochtones et les communautés. Pour définir «communautaire » et préciser les critères d’attribution, le ministère concerné invitait le Conseil à une table de concertation avec d’autres organismes, notamment le monde municipal et agricole (UPA).
L’inexistence de soutien concret aux communautés pour développer l’éolien, créneau fort coûteux par ailleurs, a rapidement été soulignée par les acteurs présents à la table de concertation. Une proposition fut transmise au sous-ministre d’alors, pour l’élaboration d’un programme d’achat garanti avec tarif fixe, prévoyant des critères précis pour l’acceptation des projets. Finalement, la proposition visait à identifier un tarif d’achat d’électricité fixe et connu d’avance inscrit dans un cahier de charge. Cette proposition s’inspirait des modèles développés en Allemagne, au Danemark et en Espagne. Il n’y a pas eu de réponse à la proposition transmise. Une autre demande visait à protéger la ressource pour les communautés en territoire habité en réservant la récupération des mégawatts non construits dans les premiers appels d’offre, soit 500 MW à ce jour. En l’absence de conditions adaptées à la situation des communautés, ces dernières se sont retrouvées en concurrence avec les grandes entreprises multinationales. Elles se tournèrent donc plutôt vers la diversification des énergies renouvelables.
En 2008, soit trois ans après la décision des acteurs coopératifs d’aller de l’avant, plus d’une dizaine de coopératives en énergies renouvelables étaient formées avec, en référence, plusieurs guides d’accompagnement. Les soutiens financiers provenaient essentiellement d’Agriculture Canada dans le cadre d’un programme sur les bioénergies. De leur côté, les coopératives forestières se sont mises en marche pour développer des projets de biomasse forestière. Les coopératives agroalimentaires, pour leur part, démarraient des projets en biocarburants ou en agro-énergie avec le soutien de la Coop fédérée. En 2009, le Conseil a mobilisé plus de 300 personnes dans un colloque sur cette question. Parallèlement, le Conseil a poursuivi le développement de l’expertise portant sur un projet de Fonds de démarrage et de développement en énergies renouvelables proposant un partenariat avec le gouvernement. L’intérêt était là mais n’a donné lieu à aucun engagement précis de ce dernier à ce jour. Un programme de micro-production annoncé dans la stratégie énergétique pourrait profiter aux communautés. Il est lui aussi toujours en attente.
Bref, le gouvernement tarde à agir dans le domaine des énergies renouvelables pour soutenir véritablement les régions. Seul un choix politique éclairé pourra assurer ce virage. On peut conclure que, pour répondre à la crise écologique, l’emphase sur la «biodiversité de notre économie» (expression de Felice Scalvini à la conférence de Lévis) pourrait ouvrir une voie aux coopératives. Les énergies renouvelables, la biomasse, l’agriculture en circuits courts, la forêt de proximité, le tourisme durable, les marchés publics coopératifs et bientôt des coopératives de solidarité pour assurer la pérennité des terres agricoles sont des créneaux porteurs d’avenir.
Le droit associatif
Le droit associatif est une question qui titille : les coopératives sont des entreprises à lucrativité limitée tout en étant des associations. Mais là où çà coince, c’est que le gouvernement Charest veut transformer le droit associatif qui est jusqu’à maintenant par définition sans but lucratif vers une forme quelconque de privatisation. De l’autre côté des OBNL entreprenantes (dites d’économie sociale) voudraient ouvrir un volet économique à leurs associations pendant que la grande majorité des organismes communautaires s’opposent à l’une comme à l’autre position. Comment le CQCM voit-il les choses?
Une première consultation sur le droit associatif était enclenchée par le gouvernement en 2004 et conduisait à un cul-de-sac suite aux réactions en force des groupes concernés. Une nouvelle proposition était mise sur la table en 2008 et trois ans plus tard, elle est toujours à l’étude. Pour le Conseil, la proposition d’une loi sur les associations est pertinente. Près de 50 000 associations intervenant dans plusieurs domaines sociaux, par exemple les loisirs, la culture, le soutien aux personnes démunies, les groupes d’entraide, les associations de parents, etc. sont concernées. Elles tirent leurs revenus de sources multiples : cotisations des membres, dons publics, subventions et commandites, etc. Cela représentait au Canada $25 milliards en 2003. Mais ce qui pose problème dans cette proposition, c’est que les consultations font fi de la nature de l’association. Le Conseil suggérait donc au gouvernement de documenter les associations en référence aux valeurs et principes inscrits dans leurs pratiques. De là, un cadre réglementaire pourrait être proposé et protéger l’application des valeurs et principes associatifs. Un projet de loi devrait donc exposer les valeurs de l’association, soit la solidarité dans la mission collective, le mode de gouvernance démocratique et l’expression de l’égalité entre les membres. Les règles d’application et les pouvoirs des membres en assemblée générale, comme ceux du conseil d’administration, devraient aussi y être précisés. D’autre part, le document de la proposition gouvernementale avançait la création d’un capital associatif sans aucun lien de gouvernance démocratique avec les membres. Autrement dit, on y séparait le membership et les sources de financement, un peu à la manière des actionnaires dans une compagnie. C’est assez mal comprendre les fondements d’une association qui ne se définit pas comme une entreprise de droit privé. Confusion en vue de la part du gouvernement sur les entreprises d’économie sociale qui ne représentent pourtant que 5% des associations (si on exclue les coopératives) en vertu du dit document de consultation. Ces dernières, même si elles partagent les valeurs associatives, tirent une part de leurs revenus de leurs activités sur le marché. Mais dans un contexte où les finances publiques sont limitées, le pas pourrait être vite franchi pour que le financement de ces activités à caractère social relève des organisations plutôt que du service public. Or, la Loi sur les coopératives prévoit déjà la transformation de telles associations en coopératives. De plus, le Conseil propose d’ajouter la coopérative sociale ou associative d’intérêts communs à la Loi sur les coopératives dans le cas où elle s’adresserait à une communauté ou à une catégorie de personnes tout comme cela se fait en Italie pour ce qui est des municipalités.
Action politique de lobby : oui mais encore !
La première manière de faire de l’action politique dans le mouvement coopératif est donc de faire des négociations de gré à gré avec des ministères; des recommandations (mémoires) ; des collaborations sur la base d’un financement public de programmes convenus de part et d’autre (comme le développement coopératif régional avec les CDR). Mais, dans le présent contexte de crise et d’un gouvernement qui navigue à vue sur nombre de dossiers, cette forme d’action politique a ses limites. Dans certaines périodes, la logique de collaboration avec les pouvoirs publics est davantage une logique à sens unique qui a ses limites. La dynamique de cohabitation avec les pouvoirs publics est alors durement mise à l’épreuve. C’est le cas aujourd’hui dans plusieurs dossiers comme ceux des coopératives de santé, des coopératives d’énergies renouvelables, du droit associatif, etc. Ces constats appellent à la mobilisation du mouvement coopératif avec d’autres mouvements pour que l’État québécois renoue avec des politiques d’intérêt général à partir des territoires avec les communautés locales et les régions. Quoi faire d’autre ?
Ce dossier, resté plus ou moins dans le placard du mouvement coopératif depuis longtemps, a été ouvert à nouveau par la conférence internationale de Lévis en 2010. Le CQCM s’est en quelque sorte invité (en invitant pour l’occasion d’autres mouvements) à prendre position sur des questions de société comme ce fut le cas par exemple de l’Alliance coopérative internationale (ACI) à son dernier congrès fin 2009 à Genève lequel a appuyé une série de résolutions sur le réchauffement climatique à la faveur du sommet des États qui allait se tenir quelques semaines plus tard à Copenhague.
Faire de l’action politique, c’est s’introduire dans la sphère publique pour faire valoir le point de vue d’une organisation sur des questions de société, appuyés par ses valeurs et son expérience collective d’organisation, notamment sur le rôle respectif que doivent occuper l’économie, l’État, les communautés et les régions. Et également sur l’importance qu’on accorde à la justice économique, sociale et climatique.
Faire mouvement, voilà la grande question, tant sur le terrain économique (les coopératives évoluent beaucoup en rangs dispersés) que sur le plan politique où elles font peu entendre leur voix avec d’autres mouvements. Il y a là presque un choix tacite de demeurer un nain politique. Abandonne-t-on à d’autres la fonction politique ? Une partie du mouvement coopératif a le goût ou maintient le goût de combiner création de richesse et justice sociale même quand on change d’échelle, même quand on est devenu des grandes entreprises. Pourquoi ? Tout simplement parce que des coopératives n’acceptent pas de vivre dans un monde marqué par la trop faible distribution de la richesse et du pouvoir : «qu’on le veuille ou pas, un clivage de valeurs traverse notre société, des valeurs qui structurent notre pensée sur des choix de société» disent plusieurs (Noel et Thérien, 2010). Ce clivage existe bel et bien entre les entreprises de caractère collectif et les entreprises du secteur privé, surtout lorsqu’on parle des grandes entreprises multinationales. C’est même ce qui les distingue : lucrativité limitée versus recherche du maximum de profit ; démocratie d’associés versus grands actionnaires contrôlant le pouvoir dans l’entreprise ; logique d’engagement social versus une logique de surconsommation ; réponse à des besoins et «bien vivre» versus création du désir de richesse et du «vivre avec toujours plus», etc.. Des zones de conflit cohabitent donc avec des zones obligées de collaboration entre les deux types d’entreprises.
L’insertion des coopératives dans le débat public/politique s’impose alors comme registre d’intervention. Comment vont-elles dans l’avenir se situer dans cet univers ? L’année internationale des coopératives adoptée par l’ONU sera un révélateur.
Pour en savoir plus
Favreau, L. et E. Molina (2011), Économie et société. Pistes de sortie de crise, Québec, PUQ.
Favreau, L. (2010). Le mouvement coopératif, une mise en perspective, Québec, PUQ.
Favreau, L., L. Fréchette et R. Lachapelle (2010). Mouvements sociaux, démocratie et développement, les défis d’une mondialisation équitable, Québec, PUQ.
Grossman, E. et S. Saurugger (2006). Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation. Colin, Paris.
Noel, A. et J-P Thérien (2010). La gauche et la droite, un débat sans frontières, PUM, Montréal.
Thériault, N. (2010). Le modèle coopératif se veut une solution de rechange valable au capitalisme ordinaire. Cahier spécial du journal Le Devoir, 11 septembre 2010.
Site à consulter
Louis Favreau
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