On peut affirmer que les personnes qui sont au Fonds de Solidarité Sud proviennent majoritairement du milieu communautaire et du monde de la solidarité internationale. Elles ont passé une bonne partie de leur vie à militer et à s’investir dans des organisations en lien avec le développement des pays du Sud. Alors, par quel hasard, un cadre supérieur d’une multinationale du domaine de l’aluminium arrive-t-il au conseil d’administration du Fonds? C’est ce qu’on va découvrir dans ce compte-rendu d’un échange avec notre trésorier.
André, parle-nous de tes origines
Je suis né à Montréal et j’ai grandi dans une famille à revenu modeste. Mon père était ouvrier dans une usine de l’Est de Montréal. Peu après ma naissance, nous avons déménagé à Côte St-Paul dans un logement appartenant à mon grand-père maternel, crise du logement oblige. Mes parents valorisaient beaucoup l’éducation, et adhéraient à un slogan gouvernemental de l’époque, à savoir, « Qui s’instruit, s’enrichit ».
L’ouverture sur le monde s’est faite par le scoutisme et j’avais un intérêt pour les jamborees afin d’élargir mes horizons. L’Expo 67 a aussi été une véritable ouverture au monde. Déjà au secondaire, nous avions des professeurs immigrés : certains provenant d’Haïti, d’autres ayant fui la dictature au Portugal, certains d’origine allemande. On vivait l’émergence de la diversité dans la société montréalaise.
Et ton choix des études en psychologie?
J’ai fait mon cégep en Sciences de la nature au moment de la naissance des cégeps. À l’université, j’ai commencé en physique et mathématiques pour une seule session et j’ai quitté. À la blague, un ami me disait que j’aimais trop la philosophie pour poursuivre en « sciences pures ». Après réflexion, je me suis inscrit en psychopédagogie à l’UQAM. En avril, je dis à un professeur d’origine algérienne que j’allais en vacances en Europe avec un ami via une petite agence offrant des bas prix pour les étudiants. Pourquoi ne pas étudier en France me répondit-il et il m’informe alors qu’il y a des ententes entre la France et le Québec et que ma scolarité serait gratuite. Ayant choisi Montpellier, j’ai été classé en deuxième année de psychologie. J’y fais alors la connaissance de Louis Pilote et Sylvie Brassard, (membres du Fonds depuis le début), qui en étaient à leur dernière année d’études. Pour ma part, j’ai terminé ma formation de premier cycle l’année suivante à Strasbourg. J’ai ensuite fait une maîtrise en technologie éducationnelle à l’Université de Montréal.
Ta vie professionnelle se passe majoritairement au Saguenay. Comment s’est fait ce choix?
Alors que je termine mes études en France, Louis Pilote m’informe qu’on cherche un professeur de psychologie au Cégep de Jonquière. J’obtiens le poste et me voici donc au Saguenay. Je pourrais dire que ma vie a changé à ce moment et tout le reste n’est qu’une suite d’occasions ou d’événements qui s’offrent à moi parce que j’y habite. Cependant, après une année d’enseignement, je démissionne et je prends une année sabbatique pour aller enseigner le français en Louisiane avec d’autres Québécois dans le cadre d’une entente de coopération Québec-Louisiane. Cette expérience m’ouvre les yeux sur d’autres réalités de la société américaine. Au hasard d’un voyage à l’Île du Prince Edouard, je rencontre Claude qui deviendra mon épouse. Un vrai coup de foudre qui me ramène au Saguenay. J’obtiens alors un poste d’enseignant au Cégep de Chicoutimi et Claude et moi nous nous marions en décembre 1975. De grandes décisions jamais muries très longtemps : une série de coups de cœur!
Au cours de mes 10 ans dans l’enseignement, j’ai été, entre autres, coordonnateur de l’enseignement collégial de la psychologie. Pendant un an, grâce à une bourse, j’ai mené des recherches et une enquête pour le développement d’un cours de psychologie de la sexualité. J’ai aussi toujours eu un intérêt pour l’informatique, laquelle était méconnue en sciences humaines et suscitait même un peu de résistance. De mon côté, j’ai été très tôt attiré par le potentiel de la micro-informatique, et en particulier de la bureautique : traitement de texte, feuilles de calculs, présentations, etc. Ces compétences en technologies de l’information constitueront un important atout dans la suite de ma carrière.
Comment es-tu passé du cégep à Alcan, une multinationale de l’aluminium?
Le Service aux entreprises du Cégep de Chicoutimi avait des contrats de consultation avec Alcan et on m’a demandé, lors d’un premier mandat, de faire la formation des formateurs internes. Ceux-ci, par la suite, devaient former leurs pairs aux différentes tâches de leur travail comme opérateurs. Un second contrat de consultation, pris à titre personnel, m’a amené à assurer la coordination de la formation des opérateurs et des techniciens dans le cadre de la construction et du démarrage de l’usine Alcan à Laterrière. Au terme de presque deux ans, Alcan m’a offert un poste et j’ai quitté le cégep. En travaillant comme gestionnaire en ressources humaines, j’avais l’occasion d’améliorer l’aspect humain et d’avoir un impact sur une culture organisationnelle qui favorise le développement des personnes, la santé-sécurité et pas uniquement les résultats en matière de rentabilité.
J’ai toujours eu une préoccupation pour l’amélioration des processus, quel que soit le domaine d’application. Chez Alcan, après avoir mis en œuvre des processus de gestion de la formation à la tâche, j’ai piloté la création d’un logiciel de gestion de la formation appelé Gesform qui a permis à l’organisation de procéder à une meilleure planification et gestion de la formation dans les usines du groupe au Canada.
De la formation des employés de production, je suis passé à la formation des cadres, au développement organisationnel et à la gestion des talents (plans de succession, gestion de la performance individuelle, affectation des cadres supérieurs, etc.). Des employés ayant un haut potentiel d’avancement étaient ciblés et affectés à des postes, souvent à l’étranger, afin d’accélérer leur développement dans des postes cadres et des environnements multiculturels. Et ce n’était pas les défis qui manquaient devant les situations de fusion ou d’acquisition d’entreprises. Sur une période de dix ans, Alcan a fusionné avec AlGroup, une compagnie suisse. Nous avons ensuite fait l’acquisition de Péchiney, l’aluminerie française. L’achat d’Alcan par Rio Tinto en 2007, une organisation ayant une culture organisationnelle fort différente d’Alcan a été tout un défi. J’ai tout de même pu piloter des dossiers intéressants en lien avec mes compétences et mes valeurs jusqu’à ma retraite en 2010.
Qu’est-ce qui t’a amené au Fonds de Solidarité Sud?
C’est d’abord Louis Pilote et Sylvie Brassard qui m’ont recruté comme donateur il y a 11 ans. Puis, ils m’ont invité à une réunion du Fonds à Montréal. Devant une cinquantaine de personnes de divers horizons, Louis Favreau, dans son allocution, a précisé que la vision du FSS « n’est pas d’être les pompiers de l’humanitaire, mais les architectes du développement durable ». Ces paroles ont fait écho au développeur en moi et à mes valeurs personnelles. J’ai compris ainsi que les gens du Sud avec qui on travaille ne sont pas des bénéficiaires mais plutôt des partenaires de projets structurants et rentables pour les collectivités.
En 2018, ma conjointe Claude et moi avons accepté d’être un couple assuré par une police d’assurance vie dont le Fonds est titulaire et bénéficiaire. Louis Favreau m’a proposé par la suite de former et de coordonner un petit groupe de la Rive-Sud et c’est ainsi que j’ai continué à m’impliquer davantage.
Riche de mon intérêt et de mes compétences en matière de gestion de mes finances personnelles depuis de très nombreuses années, j’ai joint le comité de placement, pour constater que les placements du fonds de dotation pouvaient être optimisés compte tenu du contexte économique. Nous avions besoin de les diversifier tout en respectant nos principes éthiques.
Je me suis intéressé ensuite à notre collecte de fonds et constaté qu’il fallait remplacer notre système de gestion manuel trop lourd, par une plateforme de gestion informatisée et un outil de collecte de dons en ligne. Pour les dons en ligne, le déploiement s’est fait en 2021, avec ce qui était Simplyx, devenu depuis Zeffy, la plateforme gratuite de collecte de fonds et de gestion des dons spécialement créée pour les OBNL.
Ma contribution au FSS a ensuite été de trouver les meilleures façons d’optimiser la qualité de l’information relatives à nos des placements, à notre collecte annuelle de dons, puis à nos états financiers et à notre portefeuille d’assurances vie, en collaboration avec Lucie Fréchette.
Je suis devenu trésorier après avoir été membre du comité de placement et vice-président et je crois sincèrement que c’est là où mes expériences passées peuvent être les plus profitables au Fonds : la gestion des finances, le développement d’outils informatiques et la gestion des processus, toutes des compétences acquises au fil des années.
Je contribue ainsi à ma façon à un meilleur contrôle de nos investissements, à la collecte de dons, à une meilleure vulgarisation de l’information sur nos états financiers, ainsi qu’à un meilleur suivi de nos 300 donatrices et donateurs. Grâce au Fonds, je contribue avec d’autres membres de l’exécutif du FSS, au FISIQ lequel permet, à une autre échelle, d’augmenter l’impact du Fonds en matière de solidarité internationale auprès des communités du Sud.
Outil financier inédit, le FISIQ (Fonds d’investissement solidaire international du Québec) permet aux organismes de solidarité internationale (OCI) d’investir une partie de leurs fonds pour que des organisations paysannes, des coopératives et des collectifs de femmes et de jeunes du Sud aient accès à des prêts répondant à leurs besoins et assortis de conditions justes et équitables.
Source : Journal Le Devoir, 3 février 2024
Pour conclure, sachez que je suis arrivé au Fonds avec peu de connaissances du secteur des groupes communautaires, des OCI, des coopératives et du rôle des syndicats autres qu’en ce qui concerne la négociation des conventions collectives. J’y ai découvert un fourmillement d’organismes et de programmes qui m’étaient inconnus et j’ai aimé ce que j’ai appris au Fonds. J’y ai découvert le monde de la finance solidaire qui permet de pallier aux coupures du financement public et qui sert de tremplin pour un développement économique des communautés du Sud. Ce type d’intervention est en cohérence et en concordance avec mes valeurs. Cette approche de la finance solidaire, nous y croyons tant, Claude et moi, que nous faisons du Fonds notre organisme principal de dons tout en continuant à soutenir Médecins sans frontières et l’Unicef, deux organismes en lien avec des causes qui nous tiennent à cœur.