La coopération canadienne est assujettie à des modes
Qu’on le veuille ou non, la coopération est assujettie à des modes et tout le monde sait que les modes sont éphémères. Dans les années 1990, la coopération canadienne appuyait la croissance économique. Après, ce fut au tour de la bonne gouvernance. Au tournant des années 1990, le Canada appuyait l’idée du développement urbain.
Les années 1990, des années de plomb
Même si 80% de la population vivait dans le monde rural dont la très grande majorité pratiquait une agriculture de subsistance, on prétendait que la croissance des villes allait tirer la demande vers le haut et profiter à l’agriculture locale. Dans les faits, les investissements dans les infrastructures aéroportuaires et portuaires ainsi que des réseaux routiers urbains ont largement contribué à multiplier les importations, de telle sorte que l’agriculture locale, plus enclavée que jamais, a été déclassée par les produits agricoles d’ailleurs très souvent bradés à coup de dumping.
Sous le règne du gouvernement Harper, l’idée même d’une coopération civile a été remise en question. Dans cette période, les programmes de coopération partenariale qui permettaient aux syndicats d’œuvrer en coopération ont été abolis sous prétexte que ce n’était pas leur mandat. Même le Conseil canadien pour la coopération internationale s’est vu couper sauvagement son financement. C’est tout dire.
Aujourd’hui, des années de croissance…du risque alimentaire
Aujourd’hui, le gouvernement canadien soutient une politique féministe. Chaque mode amène son vocabulaire juste assez hermétique pour permettre seulement aux initiés de la coopération de se qualifier lors des appels d’offres. Il ne suffit pas d’avoir les compétences, ni l’expertise, ni même l’expérience de la coopération. Si les mots pour le dire ne sont pas ceux qu’on veut lire ou qu’on a l’habitude d’entendre, la proposition se heurtera à l’incompréhension du lecteur qui ne trouvera pas les mots clés qu’il a l’habitude de voir noir sur blanc. Ces mots sont comme une minorité visible. Ils doivent être faciles à repérer.
Ajoutons que la mondialisation a créé volontairement une interdépendance économique planétaire, croyant qu’elle nous protégerait contre la misère et la guerre. On peut se questionner à ce sujet, mais c’est un autre débat. Il est pourtant clair que cette interdépendance a créé une dépendance alimentaire d’une grande partie du monde. C’est ce que les syndicats agricoles de partout décriaient à la naissance du mouvement de la mondialisation. On se battait pour une souveraineté alimentaire. Nous passions pour des gens à courte vue, sans ambition.
Aujourd’hui, inutile de voir loin pour comprendre que la sécurité alimentaire contrôlée par une poignée de grandes puissances étatiques et privées nous mène à un risque alimentaire jamais vu depuis la deuxième guerre mondiale. Comme si ce n’était pas assez, le milieu rural étant laissé seul à lui-même, les groupes terroristes en ont profité pour occuper la place. C’est donc la sécurité physique des personnes qui cultivent la terre qui est compromise aujourd’hui.
La société civile québécoise résiste et fait autrement
Heureusement que la société civile québécoise a su résister aux vents contraires, à ce déracinement du monde de la coopération. En effet la dernière tempête a fait émerger à travers les branches une volonté de faire les choses autrement. Le Fonds solidarité sud est né de même que le FISIQ. Des racines se sont croisées, s’alimentant mutuellement, donnant vie à de nouvelles perspectives de coopération.
En Afrique, une nouvelle génération de leaders fait de même
En Afrique, on peut observer une nouvelle génération affranchie du passé colonial de leur pays. Elle est décomplexée, affirmée et engagée. Cette génération est mieux préparée à faire face aux enjeux et aux défis qui se présentent à eux. Je dirais mieux même que la nouvelle génération occidentale qui a vécu jusqu’à ce jour dans un environnement moins hostile que celle des pays moins favorisés. Notre coopération n’est certainement pas la seule à pouvoir s’attribuer le mérite, mais elle n’est pas non plus étrangère à cette réalité.
C’est pour cette raison en particulier que nous devons continuer la coopération et développer une nouvelle forme d’intervention basée sur la co-construction.
André D Beaudoin
25 mai 2022