Cette fois-ci c’était l’équipe régionale de l’Estrie qui invitait adhérents et sympathisants de notre organisation de tout le Québec à une rencontre en virtuel et en personne le 26 mai dernier au Café Baobab de Sherbrooke. Près de 60 personnes ont répondu à l’invitation, partagées à part égale dans une présence en personne dans l’Estrie et en virtuel pour les sept autres régions représentées – de la Gaspésie jusqu’en Outaouais -. Nous vous présentons ici les regards croisés de notre solidarité internationale à l’occasion de la parution du livre de son président Louis Favreau sur les 12 ans du Fonds Solidarité Sud (FSS), Le Fonds Solidarité Sud : histoire, parcours et perspective.
Les objectifs visés étaient, dans un premier bloc, d’en savoir davantage sur les deux questions suivantes :
- La nouvelle conjoncture internationale du développement des communautés au Sud, avec l’impact nouveau et imprévisible de la guerre déclenchée par la Russie à l’Ukraine;
- Les stratégies déployées avec nos partenaires du Québec – UPA DI et la Caisse d’économie solidaire – lesquelles abordent la solidarité Nord-Sud par le biais de la finance solidaire, du développement d’infrastructures économiques locales des communautés et de la transition agroécologique.
Dans un second bloc accessible seulement sur place au café, on visait à faire le point sur l’action de l’équipe régionale du Fonds engagée dans deux projets majeurs, un au Sénégal (électrification rurale verte) et un autre au Pérou (création de circuits courts d’approvisionnement en milieu rural et péri-urbain).
C’est le président du FSS, Louis Favreau, qui ouvra la première partie de la rencontre d’abord par une brève présentation de son livre sur les 12 ans du FSS en signalant qu’il s’agit à bien des égards d’une œuvre collective, grâce à la collaboration d’une douzaine de personnes qui l’ont commenté avant publication et grâce surtout aux dizaines de membres actifs du Fonds présents dans huit régions du Québec qui ont participé au développement du Fonds. Il enchaîna par la suite en mentionnant qu’il avait été rédigé avant le 24 février, début de la guerre déclenchée par la Russie en provoquant l’invasion de l’Ukraine. Il signala d’entrée de jeu que cette invasion créait une turbulence majeure qu’il qualifiera de nouveau désordre mondial. Il faut alors se demander quelle solidarité internationale est maintenant possible.
Après l’invasion de l’Ukraine, le visage du monde ne sera plus le même et notre solidarité non plus…
Selon Louis Favreau, nous vivons plusieurs crises de front, qui se télescopent. En plus de la crise climatique, de la crise sanitaire issue de la pandémie et de la crise humanitaire provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses effets déstabilisants d’abord pour ce pays qui réclame son indépendance depuis 30 ans mais aussi pour les pays démocratiques d’Europe, cette invasion a mené directement à une crise alimentaire sans précédent, dont les effets sur les communautés du Sud risquent d’être catastrophiques.
L’invité tardif : la guerre en Ukraine, l’Europe, le Sud et nous
La sécurité internationale mise sous pression par cette nouvelle ère géopolitique entraîne une inversion des 3D : du Développement, de la Diplomatie et de la Défense, on passera de plus en plus à la Défense avec une Diplomatie faite de nouvelles alliances au Nord comme au Sud au détriment du Développement. La menace d’une nouvelle guerre froide, du moins à l’échelle de l’Europe, et le retour du risque nucléaire deviennent la préoccupation dominante, au risque, par surcroît, de favoriser le maintien du recours aux énergies fossiles au détriment de la transition vers des énergies renouvelables.
Comme conséquences encore plus immédiates, les grands champs agricoles de l’Ukraine et de la Russie (responsables d’une grande partie de la production mondiale du blé) sont devenus des champs de bataille. La production céréalière et l’énergie deviennent des objets de chantage de la part de la Russie, menaçant encore davantage l’autonomie alimentaire et la sécurité énergétique de l’Afrique notamment, là où les moyens d’y faire face sont déjà insuffisants.
Mais le pire n’est jamais sûr
Pour Louis, ce contexte de grandes turbulences et d’incertitudes risque de rendre encore plus difficile la solidarité internationale, mais ne rend pas moins pertinents et encore plus nécessaires les projets que le FSS a entrepris de contribuer à développer avec ses partenaires du Sud, projets fondés sur trois grandes priorités : la sécurité alimentaire, l’énergie et la finance solidaire. Pour le Sud en ce moment, rien n’est plus prioritaire que des projets visant une électrification rurale verte (solaire-biogaz, éolien) et la constitution de chaînes locales et régionales d’approvisionnement en circuit court.
Nous ne sommes pas les seuls : nombre d’initiatives citoyennes s’internationalisent
Malgré les constats que notre monde est maintenant encore davantage entraîné à se défaire, les priorités du Fonds – fondées sur des initiatives citoyennes qui poussent partout depuis plusieurs décennies – s’arriment à ces dernières : OUI il y a un autre monde qui est en train de se refaire! Comme le décrit la journaliste d’enquête Bénédicte Manier dans un de ses livres (Un million de révolutions tranquilles, 2016, Ed. Les liens qui libèrent), ce monde se reconstruit par des associations de toute sorte (coopératives, syndicats, collectifs de femmes…) à la recherche d’alternatives viables, soutenues par des gouvernements, surtout locaux, et par des fonds d’investissement socialement responsable dans la bataille de la transition sociale-écologique que ce soit en agriculture (rurale et urbaine), en énergies renouvelables, en gestion durable des forêts, etc. Sans compter qu’une bonne partie de ces initiatives s’internationalisent de plus en plus.
Le Fonds Solidarité Sud : rendre notre argent socialement utile et solidaire
Sans nier la nécessité du financement public et la coopération visant le développement et la justice sociale à travers l’action des ONG, l’approche du FSS répond à un choix privilégiant la solidarité économique locale, qui passe par la finance solidaire appuyant le développement d’économies de proximité et la transition écologique. On agit alors en appui prioritaire aux organisations paysannes et aux coopératives locales et à leur mise en réseaux au plan régional comme au plan national. Le tout en partenariat avec des organisations d’ici issues du monde agricole (UPA DI) et coopératif (la SOCODEVI et la Caisse d’Économie solidaire). Et maintenant avec le support d’un nouveau dispositif, le Fonds d’investissement solidaire du Québec, le FISIQ, issu de la collaboration de 16 organisations venues de la coopération internationale, de coopératives, de syndicats et de fonds publics, fonds dédié spécifiquement au financement de projets de développement économique à finalité sociale sous forme de prêts solidaires.
Pour le Fonds Solidarité Sud, la contribution à cette approche demeure encore modeste dans le champ de la coopération Nord-Sud. Nous sommes cependant inscrits dans des collaborations stratégiques avec les partenaires majeurs que sont l’UPA DI (30 ans d’expérience avec des organisations du Sud), SOCODEVI (35 ans) et la Caisse d’économie solidaire Desjardins engagée en finance solidaire pour le développement d’économies de proximité depuis 50 ans au Québec et depuis plus de 20 ans au Sud. Cette contribution devient alors beaucoup plus significative grâce à l’expertise de ses membres et à son fonds de dotation qui est entièrement autonome et dont l’accroissement en capital actuel et différé des dernières années a permis d’atteindre un niveau permettant des engagements de plus grande portée. Ce qui permet d’apporter à ces partenariats au Québec et au Sud à la fois des analyses techniques pertinentes et des compléments financiers ciblés dans la promotion de projets majeurs développés sur le court, le moyen et le long terme.
Trois commentateurs sur les 12 ans du FSS et les enjeux actuels de la solidarité internationale
Trois personnes très proches du FSS étaient invitées à commenter et compléter ce tableau déjà bien esquissé des enjeux actuels de la solidarité internationale soit Gérald Larose, André Beaudoin et Nathalie McSween.
Pratiques d’accompagnement et de développement solidaire Québec-Afrique et Québec-Amérique latine : l’exemple du Sénégal et l’exemple du Pérou
La 2e partie réalisée au café Baobab fut d’abord consacrée à la présentation d’Alain Roy, membre de notre équipe régionale, agroéconomiste et retraité engagé sur le projet d’énergie verte au Sénégal et son implication dans ce projet.
En relatant son expérience toute récente sur le terrain avec une organisation paysanne, il raconta la façon de faire promue par le FSS, soit l’accompagnement à long terme d’initiatives voulues et portées par les acteurs eux-mêmes engagés dans ce projet, à leur rythme et selon leur volonté et vision. Ce qui suppose de notre part un engagement à long terme, une grande capacité d’écoute et un partage de connaissances. Processus donc de co-développement d’un projet qui prend autant d’importance que ses réalisations progressives structurantes.
En l’absence pour raisons de santé d’un autre membre de notre comité, Ernesto Molina, engagé dans le projet du Pérou, le président Louis Favreau a pu faire le point sur le cheminement de ce projet. Il en a profité pour faire le lien entre l’approche du FSS, le développement d’économies de proximité visant une autonomie alimentaire durable, et le processus d’accompagnement des initiatives communautaires permettant de travailler dans la durée au développement d’infrastructures sociales, économiques et techniques générant l’empowerment collectif des communautés accompagnées. Pour en savoir plus sur nos projets dans le Sud : https://www.fondssolidaritesud.org/projets-internationaux-realises/
Alain Roy de retour du Sénégal
Au terme de cette activité, tant pour l’équipe de l’Estrie que pour les personnes présentes, cette rencontre a été considérée comme un véritable succès de participation et de réalisation des objectifs visés. Notre collègue de la Montérégie, Evelyne Foy, nous a bien résumé cette rencontre dans un courriel le jour même :
Malgré que le monde va de mal en pis, cette rencontre fut stimulante par ses excellentes présentations, complémentaires, fortes, globales. Elle nous aura permis de combattre la morosité ambiante.
On retiendra de cet événement deux grandes leçons :
- Il faut miser sur la capacité de résilience de nos partenaires du sud, leurs connaissances et leur volonté d’agir dans et malgré la turbulence en cours. C’est ce que nous pouvons observer depuis un bon moment tant dans nos visites-terrain que dans nos échanges à distance.
- La nouvelle conjoncture internationale nous confirme dans l’approche de solidarité économique et d’accompagnement que nous mettons de l’avant : le renforcement du pouvoir d’agir autonome de nos partenaires du Sud. Approche qui exige de notre part des engagements dans la durée et dans le respect de la façon d’agir de nos partenaires porteurs au Sud.
Rédaction : Clément Mercier de l’équipe régionale également membre du comité d’information du FSS Photos au Baobab, une gracieuseté de Camille Chénard