Dans nos infolettres, notre souci premier est de vous raconter ce qui se passe sur ce « brave petit navire » (dixit un ami) qu’est le Fonds Solidarité Sud, avec ses hauts et ses bas, mais en insistant quand même sur ses bons coups car les temps qui courent sont faits de bien des incertitudes sur presque tous les plans. Inutile de s’y appesantir. Vivement parler des alternatives citoyennes d’ici et d’ailleurs. Une des manières de faire : une entrevue à la une à chaque infolettre avec des personnes qui font bouger les lignes. Pour cette infolettre d’été-automne, une entrevue avec André Beaudoin, agriculteur de Saint-Séverin de Proulxville en Mauricie et Alain Roy, agroéconomiste retraité de l’Estrie. De retour d’un séjour de deux semaines au Sénégal dans une mission conjointe de l’UPA DI et du Fonds. Bonne lecture!

Bienvenue au pays de la Teranga !

André B. et Alain R. avec la représentante du collectif des femmes de l’Union paysanne régionale, Mme Diouma Diouf, ainsi qu’Ousseynou Kâ et Thierno Dieng, les représentants désignés par le CNCR, notre partenaire sénégalais, pour nous accompagner dans ce projet conjoint.

Contexte d’une mission au Sénégal

En wolof, principale langue du pays suivie du français, Teranga signifie accueillir et rappelle les valeurs d’hospitalité, de partage et de solidarité de ces communautés. André Beaudoin et Alain Roy ont sûrement été maintes fois salués ainsi lors de leur visite au Sénégal du 8 au 23 mai dernier. Ce séjour marque une étape cruciale dans un projet qui germe au Fonds Solidarité Sud depuis un bon moment : allier l’électrification verte en milieu rural à la production et à la transformation agricole en s’appuyant sur les organisations paysannes locales. Vaste programme ! Pourtant réalisable à en croire nos deux collègues rencontrés à leur retour alors que leur enthousiasme était encore bien palpable. Pour André Beaudoin, c’était un retour sur ce terrain qu’il a souvent exploré alors qu’il était secrétaire général l’UPA DI. Pour Alain Roy, agroéconomiste plus familier d’Haïti, c’était une découverte.

Rappelons que depuis plus d’un an, en collaboration avec le Conseil national de concertation des ruraux (CNCR) l’organisation faitière des organisations paysannes du Sénégal partenaire de longue date d’UPA DI, le FSS explore la façon la plus appropriée de démarrer une action de transition énergétique dans plusieurs communautés à la fois. Le Sénégal où plus de 50% de la population rurale n’a pas accès à l’électricité est par ailleurs un des pays d’Afrique de l’Ouest qui mise le plus sur les énergies renouvelables pour pallier à la situation. Un volontaire national sénégalais, représentant du CNCR, Thierno Dieng, a travaillé à distance au cours de la dernière année avec Alain Roy, membre de l’équipe FSS-UPA DI, afin d’examiner les milieux les plus susceptibles d’accueillir une initiative de cet ordre. C’est du côté de la région de Diourbel que semblent avoir été réunies les meilleures conditions de démarrage du projet. En complément à notre entretien avec André et Alain, nous y avons ajouté des touches impressionnistes du journal de voyage qu’André Beaudoin a bien voulu partager avec nous.

Une entrevue d’Evelyne Foy

Notre première mission sénégalaise sur le projet d’électrification rurale verte

Quelles sont vos impressions au retour de cette mission?

André Beaudoin : J’ai fait beaucoup de missions antérieurement, souvent remplies de belles rencontres mais cette fois-ci les rencontres ont été exceptionnelles.

Alain Roy : le partenariat privilégié entre le CNCR et UPA DI est très apprécié sur le terrain et cela nous ouvrait la voie vers de franches discussions. Depuis plusieurs mois, j’avais travaillé à distance avec Thierno Dieng, ce qui a aussi grandement facilité notre mission. Nous avons été accueillis avec ouverture par nos interlocuteurs. J’ai été frappé par leur résilience : ils ont conscience qu’ils ont peu de moyens matériels, le climat est difficile, c’est sec, les bâtiments sont rudimentaires, mais ils sont décidés à avancer. Une meilleure répartition des richesses est réclamée et affirmée. L’approche de codéveloppement que nous proposons est pertinente, et le fait de se situer dans le temps long plutôt que dans l’urgence permet d’établir une relation de confiance.

« Après 28 mois sans mettre les pieds en terre africaine, j’avais oublié le chaos tranquille, la désorganisation fonctionnelle et la circulation en chamaille de Dakar. J’avais oublié le sourire heureux d’un fabricant de chapeaux tissant paisiblement au bord de la route. J’avais oublié la démarche fière d’une femme portant sur sa tête un plateau de fruits qu’elle offre aux passants, de ces écoliers qui se rendent à l’école, bien vêtus, marchant avec insouciance, la gestuelle énergique et la tête pleine de rêves. L’Afrique est une terre accueillante. » André B., journal de voyage, à l’arrivée dans la capitale

Un des objectifs de la mission consistait à choisir un milieu porteur pour l’initiative à mettre en place. Qu’avez-vous à nous raconter à ce sujet?

Devant le local de l’Union régionale des associations paysannes de Diourbel (URAPD) à 130 km de Dakar. Avec André et Alain, à l’extrémité gauche, Thierno Deng, et à l’extrémité droite, Ousseynou Ka, conseiller sénior au CNCR

Alain Roy : avec Thierno, nous avions déjà commencé à examiner quelques régions potentiellement intéressantes :  au Nord autour de la ville de Saint-Louis et la région de Diourbel pas très éloignée de la ville de Thiès. Nous avons visité les deux. Notre première préoccupation était de choisir une communauté qui a la capacité de se prendre en charge. C’est le village de Mbokhodane dans la commune de Bambey (région de Diourbel) qui a été retenu. Nous avons pu y rencontrer le directeur de l’école primaire, des femmes transformatrices de produits alimentaires qui travaillent avec d’autres groupes de trois villages à proximité et le maire de la commune. Une cantine scolaire y était souhaitée depuis un bon moment afin d’améliorer la qualité de l’alimentation des enfants et diminuer le temps de déplacement pour retourner manger à la maison.

Énergie verte : le projet de départ prend une autre tournure

André Beaudoin : Le fondement pour choisir la communauté a été le dynamisme des personnes rencontrées.  Nous nous sommes sentis en territoire vierge hors compétition avec d’autres acteurs de la coopération internationale ce qui crée souvent de la surenchère. Cela permettra de bâtir une stratégie basée sur la réalité du milieu et non sur celle de la coopération, de bâtir avec eux à partir de leur volonté plutôt que de miser sur l’accaparement de moyens financiers.

Alain Roy : Les discussions préalables avec le volontaire national nous ont amené à évoluer mutuellement dans notre approche et conception du projet. Nous pouvons maintenant parler de deux choses : une initiative d’économie circulaire qui sera croisée à celle d’une énergie verte.

André Beaudoin : Au départ, c’est l’énergie verte qui venait en premier pour justifier la démarche. On pensait à un marché public comme lieu de mobilisation et de sensibilisation, en proposant des activités de formation sur l’énergie verte, de transformation des résidus végétaux en biomasse. Maintenant, on prend assise sur des centres de transformation des produits agricoles déjà existants. On part de l’agriculture. L’énergie verte sera au service de la préservation et de la conservation des produits, permettra d’électrifier une école de 400 élèves et la case des tout-petits (centre préscolaire). Désormais, le projet devient l’initiative Économie circulaire et énergie verte dans la région de Diourbel, commune de Bambey, village de Mbokhodane. Et Alain d’ajouter : De plus, ça va permettre aux femmes transformatrices de consolider leur démarche selon leur propre dynamique.

Local d’un centre de transformation où les femmes transformatrices font de farine infantile enrichie préparée à base de céréales locales tels que le mil, le maïs, la pâte d’arachide

Mme Diouf, présidente des femmes transformatrices

Quelles perspectives pour l’avenir?

L’équipe conjointe de mission fait le point à l’ombre d’un baobab, l’arbre des palabres

Alain Roy : Dans un horizon de 5 ans on peut songer à appuyer quatre villages (dont deux seulement sont partiellement électrifiés) là où sont situés les centres de transformation des produits agricoles. Les quatre villages seront appuyés par le CNCR et, par la suite, sur sa capacité de démultiplier l’expérience initiale.

André Beaudoin : Des rencontres ont également eu lieu à Dakar avec Sen’Finances, une fondation d’utilité publique dans le domaine de la microfinance créée en 2007 dont le CNCR est membre fondateur. Il serait possible de développer un programme avec eux en matière d’énergie renouvelable conjointement avec le FISIQ permettant ainsi d’élargir l’initiative mise en route. On peut envisager de nombreuses perspectives sous l’angle de l’électrification au service de la production et de la transformation agricole.

Et comment voyez-vous votre participation?

Alain Roy : Je suis prêt à continuer à m’investir dans cette initiative pour les 5 prochaines années!

André Beaudoin : Je me sens aussi enthousiaste qu’après mes premières missions des années 1990 lorsque j’étais à UPA DI!


Quelques extraits du journal de bord d’André Beaudoin

11 mai :  l’économie informelle

Dans les rues de Dakar, les hommes et des femmes se déplacent, l’un avec une paire de ciseaux qu’il fait claquer pour faire entendre qu’il est disponible pour vous faire les ongles d’orteils, l’autre tape sur la boîte lui servant de petit banc pour qu’un passant accepte de faire cirer ses chaussures. Puis il y a le gardien de stationnement qui se transforme aussitôt le véhicule arrivé en laveur d’auto. Sans compter le vendeur de minutes de communication téléphonique qui peut aussi être coursier, si vous le lui demandez. À cela s’ajoute la vendeuse d’arachides, et celle qui tient un petit kiosque à café, celle qui vend des tissus ou encore, l’autre qui expose tous les produits nécessaires pour faire de belles chevelures et faire rêver les jeunes filles qui justement, ne veulent pas finir dans la rue.

14 mai :   Femmes et mouvement paysan

Je crois sincèrement que la situation de la femme dans le monde se dégrade. La montée du mouvement antiavortement aux USA, et le retour de la burqa en Afghanistan nous oblige à ne pas nous masquer le visage. Mais ici au Sénégal, en pays musulman, la situation est bien différente. Les femmes évoluent au grand jour. Elles sont bien présentes sur la place publique et dans les organisations paysannes, sur leur propre base. En ville, on les voit au volant de leur voiture. Mais la piste la plus convaincante est celle du village. Les femmes élèvent la voix dans le sens littéral du terme. Elles n’ont plus besoin de direction assistée, elles sont aux commandes.

22 mai : après deux semaines intenses

Le soleil se couche sur mon séjour au Sénégal. Je rentre sur mes terres, retrouver les miens. Des tumultes de DAKAR qui déborde de tout, aux villages qui s’éternisent dans une paix infinie, je garde l’image d’un peuple déterminé à demeurer Sénégalais. Un peuple souverain, qui cherche sa vérité par-delà de la mer et d’autres terres. Il sait que son avenir se loge dans la patrie.

À visionner : une entrevue de l’équipe de mission produite par la TV communautaire de Bambey sur You Tube à la fin du séjour. Cette TV diffuse dans toute la région et dispose de 83 000 abonnés.es. Comment allier l’électrification verte en milieu rural à la production et à la transformation agricole en s’appuyant sur les organisations paysannes locales? https://youtu.be/myj6GF8fh4A