Le passage d’une accumulation passive à une gestion active et collective est-il faisable ?

Le 12 juin dernier, le regroupement des organisations québécoises de coopération internationale, l’AQOCI, tenait son assemblée générale annuelle. Au menu, la discussion sur un projet de fonds d’investissement solidaire destiné à soutenir, par des prêts et des garanties de prêts, des projets dans les économies de proximité de communautés du Sud. Un groupe de travail créé par l’AQOCI s’est réuni toute une année sur ce projet [1]. Il a réuni neuf personnes en provenance de diverses OCI, a tenu six longues rencontres réparties sur l’ensemble de l’année 2014-2015. Les recommandations de ce groupe de travail ont été discutées tout au long de l’année. Elles sont issues d’un important travail de recherche et d’une solide étude de faisabilité [2] . L’AQOCI en a tiré les conclusions suivantes : 1) un tel projet de caractère économique peut correspondre aux valeurs des organisations membres de l’AQOCI ; 2) ce type de fonds d’investissement solidaire (du capital patient) est de plus en plus recherché par les partenaires du Sud ; 3) il est réalisable dans un avenir proche, la nouvelle directrice de l’AQOCI, Michèle Asselin, annonçant même qu’« il est réaliste de penser à une assemblée de fondation de ce Fonds d’ici un an ». Ce billet veut en présenter les grandes lignes en mettant le tout en perspective.

1. Le constat de départ de ce projet

Les communautés du Sud avec lesquelles les OCI du Québec travaillent ont généralement des difficultés importantes d’accès au crédit pour le développement de leurs entreprises ou de leurs projets d’entreprises et plus globalement des difficultés à se doter d’un tissu économique local, d’une «économie de proximité» qui permet de sortir de la dépendance d’un développement extraverti. Cette économie de proximité a donc besoin d’une finance patiente qui est aussi solidaire de leurs projets de développement à savoir de petites et moyennes entreprises collectives (coopératives, mutuelles et associations à vocation économique) fortement enracinées dans leur milieu et contrôlées par des membres de leurs communautés. De même elles ont besoin d’institutions locales de micro-finance socialement engagées (banques communautaires, caisses populaires, caisses rurales d’épargne et de crédit, fonds locaux dédiés, mutuelles d’assurance, etc.) pour consolider leur tissu économique productif. La finance solidaire québécoise qui est une finance patiente et socialement engagée peut fournir son expérience québécoise et internationale et son expertise.

C’est à partir de ce constat qu’est né, au sein de l’AQOCI, le FISIQ en cours d’année, FISIQ pour Fonds d’investissement solidaire international du Québec. Ce projet offre une occasion sans précédent de faire émerger un outil financier collectif des OCI du Québec servant de levier en développement d’entreprises collectives au Sud. Quelles sont les lignes directrices que l’AQOCI a tracées et qu’on retrouve dans le document présenté à sa dernière AGA puis voté à l’unanimité dans un deuxième temps? [3]

2. Les lignes de force du projet de fonds d’investissement solidaire de l’AQOCI

Une quinzaine de propositions, si on peut parler ainsi, ont en effet émergé du groupe de travail, lesquelles peuvent se résumer de la façon suivante : un système de prêts et de garanties de prêts utilisant une partie des épargnes des OCI et des fonds de travailleurs peut être mis au service de projets économiques des organisations du Sud avec lesquelles les OCI québécoises travaillent. Quels en sont les contours? Quelle en est l’architecture de base?

  1. Le FISIQ sera un levier de développement durable et solidaire des communautés du Sud et de leurs organisations.
  2. Le FISIQ sera, plus spécifiquement, un outil de cofinancement et de cautionnement pour soutenir le développement d’entreprises collectives dans des communautés du Sud de concert avec des institutions financières locales de proximité du Sud de ces communautés partageant orientations et manière de faire de la finance solidaire.
  3. Le FISIQ sera un outil collectif de financement fondé sur l’épargne des OCI québécoises et de leur regroupement l’AQOCI, épargne conçue pour le développement des communautés au Sud. Les fonds de travailleurs y seront également associés et représentés de même que les pouvoirs publics.
  4. Le FISIQ permettra d’élargir l’offre de coopération des OCI québécoises à leurs partenaires du Sud sur le terrain économique.
  5. Les partenaires naturels du FISIQ au Sud seront les organisations collectives de production, de transformation et de commercialisation des communautés avec lesquelles les OCI du Québec travaillent. Le financement des entreprises sera direct ou indirect et passera par les institutions financières locales appropriées.
  6. L’AQOCI est l’organisation principale qui représentera les OCI québécoises au sein de la structure de gouvernance de la société d’investissement qui sera créée;
  7. Le FISIQ sera une entité distincte gouvernée par ses différentes composantes dont l’AQOCI comme organisation principale et constituée pour les fins des OCI dans le cadre de leur travail de levier financier de projets au Sud.
  8. Le FISIQ n’aura pas de spécialisation thématique, aura une approche intégrée de l’égalité femme-homme quant à la gouvernance du fonds, des projets et des résultats obtenus de ces partenariats.
  9. Les participations financières des uns et des autres seront réparties grosso modo de la façon suivante : a) celles des OCI pour 5 à 15% du financement; celles des fonds de travailleurs pour 65% et celles des fonds publics pour 25%. Le FISIQ dans sa démarche de première capitalisation visera à atteindre $6 millions dans un processus planifié d’intervention sur 10 ans.
  10. Les rendements des placements des organisations québécoises participantes seront de l’ordre de + ou – 5% d’intérêts annuellement.
  11. Ces $6 millions permettront de développer selon les premiers estimés quelques 7 ou 8 projets/année générateurs de revenus pour des entreprises liées aux organisations partenaires lesquels recevront des prêts à des taux d’intérêt plus bas que ceux du marché local pour des sommes minimales de $100 000 (plancher pour les projets «femmes» et «jeunes») pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers de dollars ($400 000 pour la moyenne générale).
  12. Chaque projet sera examiné sur la base de leur viabilité économique (et non d’un rendement maximum) et de leur finalité sociale à partir d’une série de critères servant d’indicateurs de mesure correspondant aux valeurs des OCI québécoises. Une douzaine de projets par année seront examinés. Chaque projet sera construit conjointement par une OCI québécoise et son partenaire du Sud. L’OCI québécoise participera au financement à une hauteur minimale de 10% tout comme le partenaire du Sud qui y participera à une hauteur variable pouvant aller jusqu’à 50%.
  13. Le FISIQ aura la possibilité de croiser ses financements avec ceux d’autres organisations de finance solidaire comme la SIDI et d’autres puisqu’elles sont une cinquantaine dans le monde réunies au sein d’une association internationale, INAISE.
  14. La politique d’investissement du FISIQ peut se résumer de la façon suivante : a) soutien à des activités génératrices de revenus, dans le cadre principal d’entreprises collectives collaborant avec leurs institutions financières locales (crédit aux entreprises); b) en cofinancement; c) en convergence avec les programmations habituelles des OCI; d) dans les pays où les OCI du Québec sont déjà présentes; e) pour des entreprises qui ne sont pas dans leur phase de démarrage; f) avec un horizon de prêt variant de 3 mois à 7 ans.
  15. Le FISIQ démarrera avec le groupe d’OCI qui aura participé à sa capitalisation (indépendamment de la taille de l’OCI et de son investissement) dans un processus par étapes sur 3 ans. Le FISIQ s’ouvrira ainsi progressivement à la contribution de toutes les OCI pour lesquelles la finance solidaire représente une stratégie pertinente d’intervention.

Ceci étant dit, au final, et c’est la chose la plus importante à retenir : dans une projection sur 10 ans, plus ou moins 40 partenaires du Sud auront bénéficié d’un prêt et 35 000 emplois auront été créés. On peut également postuler que plusieurs dizaines des 68 OCI membres de l’AQOCI y auront été impliquées à un titre ou à un autre. Mais comment fonctionnera un tel fonds et qu’aura à faire une OCI qui veut faire bénéficier dudit fonds un de ses partenaires du Sud.

3. Le cheminement d’un projet : une chaîne de solidarité à cinq maillons

On peut décrire le cheminement d’un projet en ce le représentant par une chaîne de solidarité à cinq maillons :

  1. Une partie des épargnes des organisations de coopération internationale du Québec et de d’autres investisseurs dont les fonds de travailleurs (argent en provenance des épargnes des travailleurs en vue de leur retraite) sera placée dans le FISIQ. Destination unique : fournir des prêts pour le développement socio-économique de communautés locales au Sud ;
  2. Une OCI québécoise présente dans un pays du Sud élabore conjointement avec son partenaire un projet, projet dont elle sera partie prenante dans un plan de cofinancement ;
  3. Une société d’investissement solidaire québécoise, le FISIQ, fournira en cofinancement, s’il est retenu, un prêt et/ou une garantie de prêt à l’entreprise ou au groupe d’entreprises engagées dans le projet (des coopératives, des mutuelles, des associations, des organisations paysannes, etc.) ;
  4. Un partenaire du Sud – soit une ONG, soit une association, soit une coopérative, soit une organisation paysanne, soit un groupe de femmes…- élabore conjointement avec l’OCI québécoise un projet qui mettra aussi à contribution une structure locale de financement ;
  5. Des petits entrepreneurs dans le secteur de l’agriculture familiale, de l’artisanat, du commerce de proximité…entrepreneurs qui sont généralement membres d’une coopérative, d’une association, d’une organisation paysanne ou d’un réseau, lesquels sont les bénéficiaires du prêt.
1. Épargne pour le développement 2. Une coopération québécoise 3. Un outil financier québécois, un fonds 4. La construction conjointe d’un projet 5. Des prêts à des entreprises collectives
Épargne des OCI et autres investisseurs québécois
FISIQ et AQOCI
OCI du Québec et leur programme dans le Sud Une société d’investissement québécoise, le FISIQ *Une OCI
* son partenaire du Sud (ONG, coopérative, O.P….) ;
* Une institution locale de financement ;
Pour de petites et moyennes entreprises dans artisanat, agriculture familiale, commerce de proximité… membres d’organisations

 

4. Les épargnes collectives des OCI: passer des accumulations passives à une gestion active et collective

4.1. Épargnes collectives au service du développement : l’expérience québécoise d’hier à aujourd’hui

Dans un sens, si le projet du FISIQ est une innovation dans la coopération internationale, la chose n’est pas nouvelle car la plupart des mouvements sociaux au Québec se sont donnés des outils financiers collectifs depuis plusieurs décennies. Cela a un nom : la finance solidaire. C’est le cas du mouvement syndical (avec les ACEF et surtout les caisses d’économie dans les années 1960 et 1970; avec les fonds de travailleurs et les services financiers de gestion de régimes collectifs de retraite de travailleurs dans les années 1980 et 1990); avec le mouvement coopératif depuis des lunes (les caisses d’épargne et de crédit, les mutuelles d’assurances) et plus récemment avec des fonds dédiés au développement coopératif; avec les groupes communautaires et les groupes des femmes (le régime de retraite des groupes communautaires et de femmes et des fondations communautaires) et les réseaux d’économie sociale (avec une fiducie dédiée aux entreprises d’économie sociale) dans les années 2000 [4] .

L’argent de cette finance solidaire sert de façon prioritaire le développement de PME collectives ou privées en région (fonds de travailleurs) ou des projets coopératifs ou communautaires dans des communautés locales (tout le réseau des caisses Desjardins et notamment la Caisse d’économie solidaire, Fondation Béati, etc.).

4.2. Les OCI du Québec ont les moyens financiers et politiques d’un projet comme le FISIQ

La sortie d’un document majeur produit conjointement par l’AQOCI et le MRIF en 2013 avait permis de soulever une question nouvelle: pourquoi le mouvement québécois de la solidarité internationale (l’AQOCI, ses membres et des organisations près de ce regroupement et de ses orientations) ne ferait-il pas ce que la plupart des mouvements ont fait au Québec à savoir s’emparer de la finance solidaire? Sans le dire de cette façon, ce document mettait le doigt sur un chaînon manquant de la coopération québécoise. Les 45 recommandations de ce document couvraient tout. Mais elles s’appuyaient sur deux socles plutôt qu’un : le document était très clair sur la nécessité d’une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI) pour l’avenir de la coopération dans la prochaine décennie. L’arrivée du Parti libéral au pouvoir a remisé pour un temps cet important projet d’Agence. Cependant une autre avenue, relativement nouvelle, faisait aussi partie du document, celle d’un fonds de développement stratégique en partie doté par l’État québécois et dédié aux PME collectives (coopératives et autres) dans les pays du Sud, faisant du prêt et de la garantie de prêt sa «marque de commerce».

À la CRDC nous avions mené enquête sur cette dernière hypothèse sachant que des fonds dédiés de cette nature existaient ailleurs et que la pratique de la finance solidaire en coopération internationale était une stratégie pertinente et efficace [5] . Le résultat de notre enquête a également atterri dans les cartons du Comité AQOCI-MRI suite à sa consultation menée auprès d’une quarantaine d’organisations en provenance des OCI, des syndicats, des coopératives, des municipalités, des maisons d’enseignement, le tout adossé à 15 recherches d’appoint dont la nôtre résumé dans le billet.

Cependant d’autres questions ont surgi dans cette foulée: La finance solidaire est-elle compatible avec nos valeurs et nos orientations? Avons-nous l’expertise dans nos rangs et autour de nous pour monter un tel projet? En avons-nous les moyens? En aurons-nous le contrôle? Et puis quelle architecture aurait ce projet? Quelle ingénierie devrions-nous mettre en place? Suite à son AGA de juin 2014, l’AQOCI décida de confier à un groupe de travail le soin de répondre à toutes ces questions et bien d’autres pendant toute une année en faisant appel à une expertise en finance solidaire familière avec la coopération de proximité au Sud. Plusieurs de ces questions ont été répondu dans ce qui précède mais celle qui demeure encore en suspens concerne les moyens financiers (l’argent pour ce projet est-il accessible et suffisante?) et politiques (d’autres acteurs que les OCI peuvent-ils être des parties prenantes de ce projet?).

Avec le temps, le groupe de travail de l’AQOCI a fini par découvrir un visage trop peu connu des OCI québécoises membres de l’AQOCI : Leur capacité financière s’il y a notamment mise en commun d’une partie de leurs placements. Les OCI membres de l’AQOCI détiennent collectivement $424 millions en chiffre d’affaires, $256 millions d’actifs, $80 millions d’avoir et $75 millions en placements.

Alors une nouvelle question s’est posée : Peut-on penser qu’une partie de ces $75 millions puisse être utilisée par un outil financier qu’elles se donneraient collectivement? Derrière l’argent il y a un nouveau choix politique qui se profile. Par l’intermédiaire d’un fonds d’investissement solidaire comme le projet du FISIQ cela devient possible de la même façon que cela l’a été pour les syndicats et autres organisations sociales québécoises qui, au fil du temps, ont regroupé leurs flux de trésorerie et leurs placements dans des institutions financières proches de leurs valeurs ou en ont créé de nouvelles, lesquelles ont été mis au service du développement de leurs communautés et de leurs régions. Dans le cas du FISIQ, les épargnes des OCI (en partie) peuvent être mis au service du développement des communautés du Sud dans le cadre de projets Nord-Sud construits conjointement par les OCI du Québec avec leurs partenaires au Sud. Le FISIQ, soutenu par la contribution des OCI et adossé à celle en provenance des épargnants des Fonds de travailleurs, peut en arriver à avoir une masse critique suffisante et une capacité de convaincre les ministères (canadien et québécois) concernés. Tout cela, pour l’essentiel, grâce à la simple mise en commun d’épargnes déjà existantes.

Le document final que le groupe de travail de l’AQOCI a eu entre les mains est plus précis encore. Un premier inventaire du portrait financier global de 62 OCI [6] révèle que ce ne sont pas seulement les grandes OCI qui ont des placements mais aussi les moyennes OCI et quelques-unes des petites :

  • Dans la catégorie des grandes nous avons pu repérer 12 organisations dont huit ont plus ou moins $1 million en placements et parfois beaucoup plus;
  • Dans la catégorie des OCI moyennes, une dizaine sur les 15 ont $100 000 et plus en placements, souvent $200 000 et même $300 000 ou $400 000;
  • Dans la catégorie des petites OCI, sur une trentaine, cinq ont plus ou moins $50 000 en placements.

Ce qui veut dire que dans la première étape de capitalisation un groupe de 25 OCI se détachent du lot, groupe qui est composé surtout de moyennes et de grandes organisations (mais aussi de quelques petites), disposant de placements dont une partie, s’ils sont collectivisés, peut servir à capitaliser le FISIQ. Ces 25 OCI seront plus actives dans l’étape de démarrage (les premières années) mais le coup d’envoi sera donné pour l’ensemble des OCI. Et c’est sans compter que des OCI non-membres de l’AQOCI pourraient être de la partie comme les fonds humanitaires et de justice sociale de syndicats ou certaines organisations du mouvement coopératif engagées dans le Sud comme SOCODEVI.

Mais ce que cela veut dire avant toute chose, c’est que les OCI disposent déjà d’un potentiel financier collectif demeuré en eaux dormantes jusqu’à récemment, chaque OCI se débrouillant avec ses avoirs et ses placements de façon individuelle. Autrement dit les OCI ont des accumulations passives (ou presque). Mais celles-ci pourraient se transformer par une gestion active en faveur de prêts pour le Sud. C’était le chaînon manquant de notre solidarité internationale, c’est-à-dire un impensé quant à l’utilisation collective des épargnes dont disposent les OCI en fonction du développement du Sud. Le projet du FISIQ est venu changer la donne. Il peut donner de nouveaux outils sur le terrain économique au Sud comme l’ont fait et le font encore la plupart des mouvements sociaux sur ce terrain pour le développement du Québec.

Sur 10 ans, 35 000 emplois seront créés, avec plus ou moins 40 partenaires du Sud consolidés dans leur intervention. Des dizaines d’OCI d’ici seront inscrites dans cette démarche. C’est là une réponse que les OCI québécoises n’avaient pas à cette hauteur pour aider des initiatives locales du Sud à se fédérer et à croître davantage. 10 ans c’est long diront certains. Mais l’on sait que la coopération internationale de proximité ne donnent des résultats réels que dans la durée : Les fruits d’une aide correctement administrée ne sont parfois visibles qu’après une génération. Et pour cela, il faut au moins une génération d’implication continue et de partenariats nous dit Samantha Nutt, médecin et fondatrice de War Child North America, une ONG canadienne d’aide humanitaire dans son récent livre (Nutt, 2014 :197) et d’ajouter que Les projets qui portent leurs fruits sont ceux qui ont placé les communautés locales et leurs organismes au coeur du processus afin de trouver des solutions (p.162) en ajoutant un peu plus loin que les ONG «auraient besoin de plus de longévité et moins de réactivité» (p.164) dans leurs interventions au Sud. La finance solidaire fait partie de ce travail de longue haleine.

Les partenaires des OCI dans la mise en oeuvre de ce projet au Québec et ailleurs dans le monde

Ceci étant dit, ce projet tel que développé par l’AQOCI et dont la faisabilité est appuyée sur une étude en profondeur, sur l’expérience internationale dans le domaine et sur une décision collective prise en assemblée générale, les OCI, par leur regroupement, sont à même de convaincre les fonds de travailleurs de miser sur ce projet et peuvent maintenant discuter sur une autre base que celle des subventions avec {{les pouvoirs publics}}, le MRI en tête, c’est-à-dire sur les bases d’un système de prêts propulsé par une finance patiente et solidaire et sur les outils que cette dernière peut aider à mettre en place. Avec des fonds de travailleurs appuyant le FISIQ, les OCI disposeront non seulement de leur contribution financière mais aussi de leur expertise en la matière. Avec les pouvoirs publics les OCI disposeront d’un atout et d’un argumentaire nouveau, celui d’une solidarité internationale qui intervient directement sur le terrain économique.

Les OCI disposeront également, une fois ce fonds démarré, d’une mise en réseau NORD-SUD avec l’Association internationale de la finance solidaire, INAISE, laquelle regroupe 50 organisations dans une trentaine de pays du monde qui font déjà depuis des années ce que les OCI d’ici feront avec le FISIQ. Il y aura même dans certains pays des possibilités d’opérer une fertilisation croisée avec des fonds d’investissement solidaire similaires comme la SIDI française souvent citée en exemple dans les débats à ce propos et comme l’a déjà annoncé lors de sa visite au Québec, le directeur des investissements de la SIDI également président d’INAISE, Dominique Lesaffre. [7]

5. Les placements des OCI sont-ils faits selon les valeurs qu’elles mettent de l’avant?

Aujourd’hui, pour leurs placements, la finance solidaire québécoise offre aux OCI une alternative à toutes les organisations qui veulent aller dans cette direction. Le point de départ, c’est de considérer comme l’avance Naomi Klein dans son ouvrage le plus récent

« qu’il existe des centaines de fonds d’investissement locaux, des coopératives d’épargne ou des banques à vocation sociale, des caisses de retraite syndicales et d’autres véhicules financiers à vocation sociale possédant une longue expérience de l’investissement à caractère social… et qu’ils sont en train de créer la nouvelle économie» (Brendan Smith, Jeremy Brecher et Kristen Sheeran (2014) dans leur article Where Should the Divestors Invest ? Cité par Naomi Klein dans Capitalisme et changement climatique (p. 454 et 590).

Comme s’évertue à dire Naomi Klein le premier geste de solidarité internationale aujourd’hui est de désinvestir de certains secteurs de l’économie et de réinvestir dans d’autres (Klein, 2015 : 453-460). Un certain nombre d’OCI, de communautés religieuses, de syndicats, de coopératives et d’associations de caractère économique du Québec le font déjà. D’autres pas ! Sans trop sans rendre compte peut-être, certaines organisations et fondations ont des placements dans de grandes banques privées qui utilisent cet argent pour des interventions complètement à l’opposé de leurs valeurs (placements dans les énergies fossiles ou dans les minières par exemple). Il fut un temps où on pouvait dire qu’elles n’avaient pas le choix. Ce n’est plus vrai ! Hier sans doute mais aujourd’hui il y a des choix que la finance solidaire québécoise nous offre. Le projet du FISIQ est un autre pas, décisif pourrait-on dire, dans la bonne direction car non seulement il permet l’entrée dans l’univers de l’investissement socialement responsable mais en plus il permettra le développement d’une gestion active et collective des épargnes des OCI. Dossier à suivre.

 


Pour en savoir plus

 


 

[1] Composé de deux membres du personnel de l’AQOCI, Émilie Nguyen et Anne Delorme, de trois membres de la direction de l’AQOCI soit Denis Labelle, président sortant, Michèle Asselin, la nouvelle directrice de l’AQOCI et le trésorier de l’organisation, Norman Macisaac de l’OCI l’Oeuvre Léger. Trois autres personnes étaient de la partie soit Denise Gagnon, directrice du service de solidarité internationale de la FTQ et présidente du CISO, André Beaudoin, secrétaire général d’UPA DI et moi même en tant que titulaire d’une chaire de recherche engagé dans les enjeux de coopération internationale et président du Fonds Solidarité Sud. L’économiste Claude Dorion, nous accompagnait en étant chargé d’articuler le concept et de faire l’étude de faisabilité de la chose.

[2] MCE Conseils (2015), Projet de fonds d’investissement solidaire international du Québec. Conceptualisation et plan d’affaires. Rapport final, mai 2015, 155 pages.

[3] Le sommaire de l’étude de 18 pages est daté de juin 2015 et a été présenté à l’AGA de juin dernier par Denis Labelle, président de l’AQOCI, Claude Dorion, économiste de MCE Conseils et Michèle Asselin, directrice de l’AQOCI à l’AGA de juin dernier.

[4] Même ceux qui font souvent figure de petites organisations se sont engagées dans cette voie comme c’est le cas de nombreux groupes de femmes et de nombreux groupes communautaires. Par exemple leur régime de retraite – très jeune car il est né en 2008 – regroupe en ce moment 500 organisations et dispose d’un chiffre d’affaires de $25 millions. Ce régime est autogéré par les groupes.

[5] Cette enquête a d’abord servi pour les fins d’un mémoire du GESQ présenté à la Commission parlementaire sur le projet de loi 27 portant sur l’économie sociale à l’automne 2013. Voir à ce propos dans un billet précédent, enquête complétée par une étude d’expériences dans différents pays du Sud (Brésil, Burkina-Faso, Équateur, Pérou et Sénégal)

[6] MCE Conseils (2015), Projet de fonds d’investissement solidaire international du Québec. Conceptualisation et plan d’affaires. Rapport final (mai 2015), 156 pages. Portrait financier sommaire des OCI québécoises, p. 83.