Entretien avec le sociologue et économiste Gilles Bourque de l’IREC
Louis Favreau
Gilles, tu es économiste et sociologue. Pendant une dizaine d’années tu as été responsable de recherche à Fondaction, tu es aujourd’hui coordonnateur de la coopérative des Éditions Vie Économique (EVE) dont le blogue Oikos est un des outils d’information sur la question du développement durable et tu es chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC). Le développement durable dans nombre de ses composantes est ta tasse de thé quotidienne. Une première question : La lutte contre le réchauffement climatique est-elle à ce point urgente et centrale qu’il faudrait, selon tes dires, entrer dans une véritable économie de guerre comme les Américains ont pu le faire après l’attaque de Pearl Harbour? N’est-ce pas un peu exagéré?
Gilles Bourque
Dans son rapport publié en 2006, à la demande du gouvernement britannique, l’économiste Nicholas Stern, ancien économiste en chef à la Banque mondiale, dressait pour la première fois un portrait économique global des impacts des changements climatiques. Selon les données existantes, nous aurions actuellement atteint un niveau de gaz à effet de serre (GES) http://co2now.org/ équivalent à 391 parties par million (ppm) de CO2 dans l’atmosphère, comparativement à un taux de 280 ppm à l’aube de la révolution industrielle (début du XIXe siècle).
Si le taux de croissance des GES devait continuer au même rythme – ce que Nicholas Stern appelle le scénario du laisser-faire –, le niveau de 550 ppm serait atteint dès 2035, et le stock de GES dans l’atmosphère triplerait avant la fin du siècle. Dans ce cas, il y aurait 75 % de chance à voir les températures grimper entre 2 et 3o C au cours des 50 prochaines années et 50 % de risque d’assister à une hausse globale moyenne des températures au-delà de 5o C. Or, une hausse moyenne de 2o C représente le seuil au-delà duquel les risques de catastrophes climatiques sérieuses commencent à affecter négativement les écosystèmes, en particulier l’accès à l’eau et l’agriculture. Avec une hausse moyenne de 5o C, des changements climatiques irréversibles transformeraient de manière radicale la vie sur terre. À titre d’exemple, je signale que nous sommes présentement à une moyenne de seulement 5o C supérieure à celle de la dernière ère glaciaire. Pour Nicholas Stern, il est évident que le laisser-faire nous mènerait à la catastrophe.
En se basant sur les données de 2001 du GIEC, Nicholas Stern estimait que les coûts économiques, sociaux et environnementaux du laisser-faire dans ce domaine signifierait l’amputation de la richesse des nations de 5 500 milliards de $ chaque année. C’est l’équivalent de la grande dépression des années 1930. À l’inverse, une action collective internationale qui viserait un stock global de CO2 dans l’atmosphère à l’intérieur de la fourchette 450-550 ppm représenterait, selon Stern, l’équivalent d’une dépense annuelle de 1 % du PIB pour toute la période étudiée. Ce serait un coût de 25 $ par tonne de CO2 évitée.
Dans l’optique de la lutte au réchauffement acceptée par les nations au cours des années 2000, l’obligation contenue dans le protocole de Kyoto de ramener la production des gaz à effet de serres à 6 % sous le niveau de 1990 constituait une étape préliminaire. Elle devait rapidement être suivie par des réductions ultérieures encore plus importantes à l’horizon de 2020 et 2050 pour parvenir à une situation viable, c’est-à-dire à un scénario où le niveau de CO2 reste contenu sous la barre des 550 ppm.
Contrairement à ce que l’on peut penser, ce ne sont pas les solutions techniques qui empêchent de réaliser ces réductions. Avec les techniques actuelles et celles qui seront développées dans les prochaines décennies, il est réaliste de viser une réduction de 80 % à 95 % des émissions pour 2050. La Commission européenne vient d’accepter un plan de reconversion écologique de l’Union européenne vers une économie à faible intensité carbone qui vise ces cibles. Tous les spécialistes admettent qu’elles sont atteignables. Ce qui pose plutôt un problème, c’est la volonté politique de la communauté internationale. Ce qui pose problème, c’est le poids politique du lobby de l’industrie des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) qui s’acharne par tous les moyens, et il en dispose d’immenses, à construire des barrières.
Dans le contexte d’urgence où nous sommes, il faut en effet s’inspirer de la mobilisation qui s’est produite au début des années 1940 pour mener une guerre à finir contre les forces de l’axe – Allemagne, Italie et Japon. Pendant cinq ans, toutes les forces productives ont été mobilisées pour atteindre ces objectifs. Les efforts ont été immenses et les destructions effroyables. Mais ces destructions ont permis de passer à un autre stade du développement technique et l’effort collectif des populations a débouché sur de nouveaux modes de gouvernance qui ont renouvelé les sociétés. Par la suite, les Trente Glorieuses ont représenté une période exceptionnelle de croissance.
C’est ce qu’il faudrait faire aujourd’hui : mobiliser nos forces pour faire une guerre « matérielle » au réchauffement. D’une part, par une forte participation des populations, pour construire de nouveaux modes de gouvernance, fondée sur des formes renouvelées d’engagement; d’autre part, une « destruction matérielle » de l’ancienne économie carbone pour accélérer la reconversion écologique de l’économie.
Je fais un rapprochement entre la nécessaire mobilisation contre les changements climatiques et la 2e guerre mondiale. Pourquoi? Dans les deux cas, il y a la nécessité fondamentale d’une mobilisation générale, globale, contre des forces qui mettent en danger l’humanité telle que nous la chérissons. L’idée n’est pas de moi. Ce rapprochement me vient de l’appel d’urgence lancé récemment par Lester R. Brown, le fondateur du World Watch Institute et maintenant président du Earth Policy Institute, appelant à une mobilisation générale pour la planète.
Le livre de M. Brown, Plan B 4.0: Mobilizing to Save Civilization, écarte d’emblée le plan A – le laisser-faire –. Lester Brown estime que la seule véritable solution réside en une mobilisation massive exigeant un niveau de coopération internationale exceptionnelle, justement comme celle de la 2e guerre. Pour lui c’est clair, il faut dégonfler la bulle économique, réinsérer les forces du marché à l’intérieur du cadre d’un développement durable et solidaire, changer la fiscalité et faire appel à la grandeur des personnes.
Mais il n’est pas le seul à se référer à une guerre mondiale. Dans une autre perspective, Nicholas Stern croît plutôt que si nous ne parvenons pas à nous mobiliser sur les enjeux climatiques, nous devrons nous préparer à affronter les dérives d’une 3e guerre mondiale ! Pour lui, il est pratiquement impossible d’imaginer les conséquences économiques catastrophiques des changements climatiques; elles ne peuvent même pas être évaluées selon les concepts généralement utilisés en économie. Le scénario du laisser-faire mène à une transformation radicale des nos modes de vie, des lieux où nous pourrions vivre : le sud de l’Europe en mode de désertification, d’immenses territoires inondés – le Bangladesh, la Floride -, avec des centaines de millions de réfugiés. Le risque de guerre généralisée serait extrêmement élevé.
Mais le problème c’est qu’aux États-Unis, l’un des pays incontournables si nous voulons nous engager dans une mobilisation sur le climat, la force de ceux qui s’opposent à tout changement représente une inertie quasi-insurmontable. Récemment, le directeur du Congressional Budget Office, Doug Elmendorf, présentait aux membres du Congrès des États-Unis des évaluations selon lesquelles une hausse de 4oC des températures moyennes d’ici 2100 auraient des impacts équivalents à 4 % du PIB, alors qu’un réchauffement plus radical de 6oC entraînerait des impacts de 5 % ! Nicholas Stern qualifie ces estimations d’absurde. Je le rappelle, les différences de température entre la dernière période glacière et l’époque actuelle sont de 5oC. Et de tels changements n’auraient que des effets relativement négligeables sur l’activité économique ! Il faut plutôt dire que, dans ce domaine, les barrières idéologiques sont parmi les pires obstacles.
Et c’est d’autant plus vrai dans une période où la faillite des sciences économiques à expliquer le monde dans lequel nous vivons s’accompagne de la montée d’un mouvement négationniste, généreusement financé par l’industrie de l’énergie sale, justifiant l’inertie ou plutôt la réaction viscérale à tout changement. Pour cette raison, il faut féliciter la Tufts University Global Development and Environment Institute pour avoir accordé à Nicholas Stern et Martin Weitzman le Leontief economic prize pour leurs travaux sur les changements climatiques. Mais il n’y a pas que des penseurs dans ce domaine, il y a aussi des organisations qui bougent dans cette direction. Voyons çà de plus près!
Louis Favreau
Justement j’y arrivais! Quelles sont les solutions durables qui s’annoncent? Quand on sait que 80% de la production énergétique mondiale provient de l’économie brune, est-ce bien réaliste de miser à fond sur les énergies renouvelables?
Gilles Bourque
Il y a urgence d’agir et l’immense danger du laisser-faire. Quelles sont les solutions qui s’annoncent? Une révolution industrielle et une autre révolution de la pensée économique. C’est ce que réclame Nicholas Stern : il faut passer du 50 milliards de tonnes d’émission de CO2 aujourd’hui à moins de 20 milliards de tonnes d’ici 40 ans (en 2050). Puisque la production mondiale devrait dans le même temps être multipliée par trois, il faut donc une réduction de 3 X 2,5 soit un facteur de 7 à 8 ! Ce ne peut donc être qu’une révolution industrielle majeure ! Mais plus le temps avance, plus les efforts pour faire la reconversion va coûter cher. En 2006 il parlait d’un investissement supplémentaire de l’équivalent de 1 % du PIB mondial à chaque année pendant deux ou trois décades. Il parle plutôt aujourd’hui de 1 – 2 % par année.
D’autres chercheurs et organisations ont cherché à évaluer notre capacité à infléchir les tendances actuelles pour gagner cette guerre contre le réchauffement. Un rapport publié en février par le Fonds mondial pour la nature (WWF) suggère que les besoins mondiaux en énergie pourraient être [quasi] intégralement couverts par des sources renouvelables d’ici à 2050. Un scénario qui suppose, cependant, une refonte complète de notre modèle de développement.
L’étude du WWF s’appuie sur un scénario mis au point par le bureau de consultants spécialisé Ecofys. Tous les secteurs utilisateurs (transports, industrie, individus), l’ensemble des postes de consommation ont été pris en compte pour aboutir à un verdict clair : si les décideurs politiques et économiques y mettent les moyens et que les citoyens font preuve de bonne volonté, le recours aux combustibles fossiles et au nucléaire peut être réduit à un usage marginal dans les quarante ans. Cette reconversion serait « non seulement possible mais aussi économiquement viable » et permettrait de fournir « une énergie abordable pour tous ».
Une telle révolution industrielle n’ira pas sans une profonde remise en cause du modèle de développement actuel. Le WWF formule dix recommandations.
- Énergie propre : Faire la promotion uniquement des produits les plus efficaces (efficacité énergétique) et développer des sources d’énergie renouvelables existantes et nouvelles afin de satisfaire les besoins énergétiques de l’ensemble de la population d’ici 2050.
- Réseaux : Assurer le partage et l’échange d’énergie propre par des réseaux et le commerce (1,4 milliards de personnes n’ont pas accès à une électricité fiable).
- Accès: Mettre fin à l’insuffisance des ressources énergétiques : fournir de l’électricité propre et faire la promotion de pratiques durables pour toutes les populations des pays en développement.
- Ressources financières : Investir dans l’énergie renouvelable, l’énergie propre et les produits et bâtiments éco-énergétiques.
- Nourriture : Mettre fin au gaspillage d’aliments. Choisir des aliments dont l’approvisionnement est efficace et durable afin de libérer des terres pour la nature, la foresterie durable et la production de biocarburants. La solution est simple : les gens mieux nantis doivent réduire leur consommation de viande.
- Matériaux : Réduire, réutiliser et recycler – pour minimiser la production de déchets et économiser l’énergie.
- Transports : Adopter des mesures incitatives pour encourager un plus grand nombre de personnes à utiliser le transport en commun et réduire les distances parcourues par les personnes et les marchandises. Faire la promotion de l’électrification.
- Technologie : Élaborer des plans d’action nationaux, bilatéraux et multilatéraux pour faire la promotion de la recherche et du développement en efficacité énergétique et en énergie renouvelable.
- Durabilité : Élaborer et appliquer des critères de durabilité rigoureux pour assurer la compatibilité de l’énergie renouvelable avec les objectifs environnementaux et développementaux.
- Ententes : Appuyer des ententes ambitieuses en matière de climat et d’énergie pour fournir une direction mondiale et encourager la coopération mondiale aux efforts visant l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique.
D’ici 2050, selon le WWF, il est possible d’économiser près de 5,5 billions (mille milliards) de dollars par année grâce à l’amélioration du rendement énergétique et à une réduction des coûts de carburant. D’ici 2050, les sources géothermiques pourraient fournir plus du tiers de l’énergie requise pour chauffer les immeubles. Si à peine 0,3 % du désert du Sahara représentait une usine d’énergie solaire concentrée, l’énergie qu’elle produirait serait suffisante pour alimenter l’Europe tout entière.
Mais ces initiatives, si nombreuses soient elles, ne sauraient remplir leur objectif sans un cadre global et une coopération d’ensemble. Un pacte mondial sur le climat est absolument nécessaire, ce que reconnaît le WWF en réclamant des décideurs du monde entier de soutenir des accords « ambitieux » sur l’énergie et le climat. Mais, ajoute le rapport, si les bonnes décisions sont prises aujourd’hui, la demande énergétique mondiale de 2050 pourrait être « inférieure de 15% » à celle de 2005, malgré l’augmentation de la population, de la production industrielle, du fret et des voyages.
Louis Favreau
Alors quelle analyse fais-tu de la dynamique des institutions internationales en commençant par celle qui est la plus directement concernée, celle du programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)?
Gilles Bourque
Le scénario du PNUE est d’investir 2 % du PIB mondial pour une économie verte. Le PNUE travaille avec les gouvernements. Récemment, dans la perspective de Rio+20 en juin prochain, il a rendu public un rapport – Vers une économie verte : Pour un développement durable et une éradication de la pauvreté – dans lequel il propose d’investir 2 % du PIB mondial dans dix secteurs clés, ce qui permettrait de mettre en oeuvre la transition vers une économie verte}caractérisée par de faibles émissions de carbone et l’utilisation efficace des ressources. Selon le PNUE, ces investissements planifiés de 1 300 milliards $ par année parviendraient à contrecarrer la mauvaise allocation actuelle flagrante des capitaux, ce qui permettrait de diminuer les risques, les chocs, les pénuries et les crises de plus en plus inhérents à l’économie carbone – « l’économie brune » – existante, responsable de l’épuisement des ressources et du niveau élevé des émissions de carbone.
Pour le PNUE, l’économie décarbonisée – « l’économie verte » – est bonne non seulement pour créer des emplois verts dans les pays développés, mais elle constitue également un catalyseur essentiel de croissance et d’éradication de la pauvreté dans les pays en développement, où près de 90 % du PIB généré par les populations pauvres dépendent de la nature ou du capital naturel tel que les forêts et l’eau douce. À l’heure actuelle, nous dit le PNUE, entre 1 et 2 % du PIB mondial sont consacrés à diverses subventions qui perpétuent souvent l’utilisation non durable des ressources dans des domaines tels que les combustibles fossiles, l’agriculture (y compris les subventions aux pesticides), l’eau et la pêche. Un grand nombre d’entre elles participent à la dégradation de l’environnement et à l’inefficacité de l’économie mondiale. Leur réduction ou leur disparition progressive présenterait de multiples avantages et libérerait des ressources pour financer la transition vers une économie verte. Il faut donc se résoudre rapidement à rediriger ces sommes vers de nouvelles pratiques.
Le PNUE cible 10 secteurs qu’elle juge essentiel au verdissement de l’économie mondiale : agriculture, bâtiment, offre énergétique, pêche, foresterie, industrie (dont l’efficacité énergétique), tourisme, transport, gestion des déchets et eau. Sur les 2 % du PIB proposés dans le rapport, les investissements par secteur seraient les suivants (les montants cités sont des investissements annuels) :
108 milliards de dollars pour le verdissement de l’agriculture, petites exploitations comprises ;
134 milliards de dollars dans le verdissement du secteur du bâtiment en améliorant l’efficacité énergétique) ;
plus de 360 milliards de dollars dans le verdissement de l’offre énergétique ;
près de 110 milliards de dollars dans le verdissement de la pêche, comprenant une baisse de la capacité des flottes mondiales ;
15 milliards de dollars dans le verdissement de la foresterie avec d’importantes répercussions bénéfiques en termes de lutte contre le changement climatique ;
plus de 75 milliards de dollars dans le verdissement des activités industrielles, dont l’industrie manufacturière ;
près de 135 milliards de dollars dans le verdissement du secteur du tourisme ;
plus de 190 milliards de dollars dans le verdissement du transport ;
près de 110 milliards de dollars dans les déchets, avec le recyclage ;
un montant du même ordre dans le secteur de l’eau dont l’assainissement.
Ce rapport vise à accélérer le développement durable et fait partie de la contribution du PNUE à la préparation de la conférence Rio+20 qui aura lieu au Brésil l’année prochaine. Les pays sont également invités à fournir d’autres exemples d’économie verte. Actuellement, l’équipe en charge de l’Économie verte au PNUE prévoit de présenter le rapport dans plusieurs capitales à travers le monde.
Louis Favreau
Jusqu’ici nous avons vu les propositions de chercheurs, d’une grande organisation internationale (le Fonds mondial pour la nature) et d’une grande institution internationale (le PNUE). Mais comment, au Canada, cette guerre au réchauffement climatique peut-elle s’engager ? Dans un pays gouverné par un premier ministre qui est un abonné aux Prix Fossiles, la guerre est militaire plutôt que climatique, non?
Gilles Bourque
Un regroupement d’organismes environnementaux canadiens et québécois – la Coalition du budget vert – proposé un ensemble de recommandations prioritaires pour le budget fédéral 2011 qui montrent que des mesures concrètes pourraient permettre de préserver la capacité actuelle de protéger l’environnement, la nature et la santé des Canadiens contre la pollution.
Le document souligne les recommandations prioritaires pour un plan de conservation, l’efficacité énergétique et les ressources en eau douce, ainsi qu’une gamme de mesures et de réforme des subventions, dont les épargnes pourraient financer la plupart des recommandations citées plus tôt. Parmi les propositions formulées, je voudrais souligner celles qui apparaissent plus urgentes.
1. Efficacité énergétique : une rénovation domiciliaire écologique
Le budget vert propose une stratégie nationale de rénovation domiciliaire écologique comprenant un soutien aux personnes à faible revenu. Objectif : augmenter le pourcentage des rénovations de résidences canadiennes à 15 p. cent de l’ensemble d’ici 2015, dont 130 000 résidences de ménages à faible revenu, en investissant 1,25 milliard de dollars sur 5 ans.
L’accès au capital peut représenter un défi permanent pour les projets d’amélioration de l’efficacité énergétique, même lorsqu’il s’agit de projets rentables à moyen et long terme. L’émission de garanties d’emprunt gouvernementales, les « obligations d’énergie verte », permettrait donc de réduire les coûts et les risques liés à l’accès au capital. Objectif : la création d’un fonds de 2,5 milliards de dollars sur 5 ans, dont au moins 100 millions de dollars par année devraient être constitués par des fonds fédéraux.
2. Des investissements dirigés vers nos ressources en eau douce : un investissement dans la santé, l’emploi et la responsabilité internationale
Le budget vert propose que le Canada canalise ses investissements vers ses ressources en eau douce afin de protéger la santé de la population, créer des emplois, promouvoir l’innovation et sauvegarder ces ressources pour les générations futures. Les domaines d’investissement prioritaires sont les suivants : les infrastructures d’eau douce, la conservation de l’eau par l’étiquetage de produit, nettoyer les secteurs préoccupants (SP) et les zones d’intervention prioritaire (ZIPs) et une protection contre les espèces envahissantes.
Ces mesures représentent des investissements totaux (sur 5 ans) de 1 milliard de dollars de financement existant issu du Fonds Chantiers Canada (FCC) et du Fonds pour l’infrastructure verte (FIV), plus 3,38 milliards de dollars de nouveau financement.
3. Investir dans l’infrastructure du transport en commun
Le budget vert propose de prioriser le financement du plan de transport en commun régional de Metrolinx pour la région du Grand Toronto et de Hamilton, où la congestion routière est la plus grave. Les investissements requis : 1,2 milliard de dollars d’investissement additionnel pour le transport en commun national pour 2010-2011, en plus des engagements fédéraux à l’égard du Fonds de la taxe sur l’essence, du Fonds Chantiers Canada et d’autres mécanismes continus. Entre 10 millions et 180 millions de dollars par année pour le manque à gagner consécutif aux modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu.
4. Financer dans les pays du Sud l’initiative d’une économie verte
L’Accord de Copenhague de décembre 2009 fixe deux objectifs particuliers pour la fourniture de « financement accru, nouveau et additionnel, prévisible et adéquat » : a) des pays développés engagés à fournir « des ressources nouvelles et additionnelles […] de l’ordre de 30 milliards de dollars pour la période 2010-2012 »; b) des pays développés aussi engagés à « mobiliser ensemble 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 […] de diverses sources ». Le ministre de l’Environnement Jim Prentice a annoncé le versement d’une contribution de 400 millions de dollars en 2010, soit environ 4 p. cent des 10 milliards de dollars américains à verser chaque année de 2010 à 2012. La Coalition du budget vert croit que le Canada doit poursuivre sur cette base en fournissant une contribution équivalente de 400 millions de dollars (ou plus) pour 2011 et 2012, puis augmenter cette contribution à partir de 2013.
Cependant, malgré les intentions affichées au départ, le budget vert de la dite coalition n’est pas à la hauteur des enjeux. C’est un budget fortement teinté par le contexte électoral, qui n’ose donc pas aborder les vrais chiffres. Sur la base de la cible minimale de 1 % du PIB pour les prochaines décennies, c’est d’une moyenne annuelle de 20 milliards $ d’investissement qu’il faudrait plutôt parler pour le Canada. Nous sommes loin du compte. Que cela soit issu des groupes qui sont les leaders de la lutte contre le réchauffement, démontre bien que le Canada part de bien loin dans ce combat.
Louis Favreau
Et au Québec, comment peut se faire la guerre au changement climatique, sachant que si chaque pays attend les autres (c’est la politique canadienne!), on neutralise la mobilisation de tous. Le Québec peut-il sortir du modèle économique dominant malgré que d’autres acteurs soient plus déterminants que lui en Amérique du Nord?
Gilles Bourque
Oui ! La Suède a collectivement choisi d’éliminer le pétrole de son portefeuille énergétique d’ici 2030. Il s’agit là d’un choix économique audacieux, qui renvoie à des décisions importantes en matière d’insertion dans l’économie globale. L’économie suédoise n’est pas une économie fermée, au contraire. Le peuple suédois a néanmoins le courage et l’audace de faire fi du manque de volonté de la communauté internationale dans cette guerre au réchauffement, confiant semble-t-il que non seulement leur choix ne nuira pas à la compétitivité de l’économie suédoise, mais qu’il leur apportera un dividende !
Le Québec, qui partage avec la Suède plusieurs sensibilités, en plus d’un climat pas toujours très clément, n’aurait-il pas intérêt à faire cause commune avec la Suède ? Se libérer du pétrole pour 2030 peut constitue un formidable défi collectif, en même temps qu’un choix déterminant pour le type d’économie dans lequel nous voulons inscrire notre modèle de développement. Et ça ne semble pas un choix qui relève de l’utopie.
Par exemple, que voudrait dire pour le Québec l’application de la règle du 1 % ? Il faut comprendre cette règle comme une approximation. Certains pays vont devoir investir davantage, alors que d’autres – comme le Québec – devraient investir moins en raison du niveau déjà atteint d’utilisation d’énergies renouvelables. Contrairement à la grande majorité des autres pays du monde, la production électrique québécoise est à 98 % renouvelable. C’est pourquoi la règle simple du 1 % représente une bonne approximation du coût de reconversion de l’économie du Québec pour se libérer du pétrole d’ici 2030. Sur une période de 20 ans, on évalue ce coût à entre 90 et 100 milliards $, selon les hypothèses que l’on peut faire sur le taux de croissance future de l’économie québécoise (à ce sujet, voir notre note d’intervention de l’IREC). Des investissements globaux de 100 milliards en 20 ans, une moyenne de 5 milliards $ par année !
Pour le Québec, ça représente le lancement de quelques projets d’envergure permettant de reconstruire les infrastructures de transport sur une autre base, principalement en électrifiant les transports collectifs. L’IREC a évalué qu’une première phase d’électrification des transports collectifs coûterait 20 milliards $, mais entraînerait en contrepartie la création de 140 000 emplois, une valeur ajoutée totale de 11,9 milliards $ dans l’économie et des revenus fiscaux – impôts, taxes, parafiscalité – de 2,3 milliards $ aux divers niveaux de gouvernement. Ces investissements permettraient de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre (GES) tout en améliorant la productivité globale de l’économie – par des transports plus efficaces – ainsi que la balance commerciale du Québec – avec moins d’achats d’énergie sale provenant de l’étranger.
Une autre phase majeure de reconversion devra toucher le parc des véhicules automobiles. Le remplacement graduel des véhicules à essence vers les VE tout électrique ou hybride rechargeables devra aussi passer par un vaste programme d’investissement public : changement massif des flottes de véhicules gouvernementaux; développement du réseau des bornes de recharge; soutien financier au développement de la grappe de mobilité durable pour ancrer la reconversion au cœur du modèle productif. En parallèle, le développement massif de la production de biogaz provenant de la gestion des matières résiduelles et d’éthanol cellulosique de 2e génération. À ce propos, signalons que les programmes de subventions mis en place en Suède pour soutenir le développement de la cogénération biomasse a donné des résultats probants : une puissance électrique de milliers de mégawatts et 150 réseaux de chaleur fonctionnant en tout ou en partie aux bois-énergie. En 2009, 32 % de l’énergie consommée en Suède provenait de la biomasse !
Grâce au travail de la nouvelle députée Martine Ouellet, une ancienne ingénieure d’Hydro-Québec, le PQ semble se diriger vers une politique énergétique dans la bonne direction. Dans une entrevue réalisée avec Louis-Gilles Francoeur du Devoir (21 mars 2011), Pauline Marois annonçait nommément que la future politique énergétique du Québec devrait cesser de préparer de nouveaux grands projets hydro-électriques au profit d’une exploitation croissante de l’efficacité énergétique et des énergies vertes de façon à ce que ces énergies alternatives réduisent davantage notre impact sur le climat.
Il faudrait dès maintenant réclamer, comme l’a fait la Suède, la mise sur pied d’une commission publique spéciale regroupant tous les acteurs de la société civile pour étudier les conditions permettant de libérer le Québec du pétrole d’ici 2030. Ce serait là un grand défi mobilisateur pour les Québécois.
Pour en discuter :
l’Université d’été du GESQ, 26 avril 2012
Pour s’informer quotidiennement : http://www.oikosblogue.coop/
Pour en savoir plus (quelques ouvrages de référence)
Brown, L. (2011), Basculement (comment éviter l’effondrement économique et environnemental), Éd. Souffle court, Paris.
Brown, L. (2007), Plan B (pour un pacte écologique mondial), Éd. Calmann-Lévy, Paris.
George, S. (2010). Leurs crises, nos solutions, Paris, Albin Michel.
Lipietz, A. (2009), Face à la crise, l’urgence écologiste, Ed. Textuel, Paris.
Gilles Bourque
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